Fanny Molins installe sa caméra dans un modeste troquet situé en Carmague et y perce avec une générosité immense la substance romanesque d’une galerie de personnages.
Le pilier de bar n’est pas absent du cinéma, loin de là, mais a pris pour habitude d’être une figure sous-estimée, méprisée ou plus généralement relayée à une figuration mélancolico-attachante. Dans Atlantic Bar, le premier long métrage documentaire de Fanny Molins, le voici ramené de la marge au centre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Fanny Molins suit Nathalie (héroïne magnifique) et son mari Jean-Jacques, patronne et patron, bientôt menacé·es par la fermeture de leur modeste troquet situé à Arles. Prendre sa caméra pour venir enregistrer la vie des “vraies gens” a parfois quelque chose d’obscène, pourtant Fanny Molins s’en écarte totalement par la précision et la sensibilité de son regard. En refusant de s’inscrire dans une entreprise de fétichisation ou comme un tableau pittoresque “du bar de province”, le film révèle avec une grande acuité le rôle communautaire du bar. Un lieu que la cinéaste retranscrit comme l’un des derniers espaces permettant de maintenir un tissu social. Car cette fermeture annoncée produit non seulement un bouleversement dans la vie du couple de gérant·es, mais met aussi en péril la stabilité du groupe de client·es, lié·es indéfectiblement à l’Atlantic Bar.
Chavirer
Fanny Molins filme avec une patience inestimable les pulsations du lieu, aussi bien terre d’exil que de retrouvailles, animé par une temporalité qui lui est propre, insoumis à la vitesse de la ville, érigé en petit théâtre d’un romanesque sans fin et poétique. Filmé en huis clos, le documentaire déploie une incroyable intensité grâce à une mosaïque de personnages extrêmement denses et charismatiques que la fiction n’aurait pas pu inventer. S’y entremêlent aussi bien un braqueur repenti, un ancien SDF, qu’un poète. Ici la parole s’emporte, digresse comme jamais, prend des détours dans un dédale d’ivresse pour mieux raconter les fêlures et les espoirs de ces destins cabossés bien souvent pris au piège de l’addiction (de l’alcool, cigarettes ou des jeux de hasard).
Si l’affaire du cinéma a toujours été de filmer quelque chose en train de disparaître, il aura saisi par la caméra de Fanny Molins ce petit monde en train de chavirer avec grâce et une générosité immense.
Atlantic Bar de Fanny Molins. En salle le 22 mars.
{"type":"Banniere-Basse"}