Révélée en France avec “The Souvenir”, son quatrième film, la cinéaste britannique a une double actualité, la sortie de “The Eternal Daughter”, avec Tilda Swinton, et une rétrospective au Centre Pompidou.
Avec The Eternal Daughter, est-ce la fin d’un cycle avec la référence à Caprice, votre film de fin d’études ?
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Joanna Hogg — Je n’y ai pas pensé en ces termes. Je dirais plutôt qu’il s’agit d’un début de cycle, une forme de renaissance. The Souvenir est la première fois que je revenais sur ma jeunesse, sur mon passé. Je me suis dit qu’il y avait d’autres éléments de ma vie qui pourraient donner matière à un film, et The Eternal Daughter parle de mon rapport à ma mère, mais à présent j’aimerais partir sur d’autres choses que ma propre existence. J’ai envie d’explorer d’autres univers.
The Eternal Daughter est évidemment un film très intime, mais il flirte aussi avec le cinéma de genre horrifique. Le cinéma de genre fait-il partie des territoires que vous souhaitez explorer ?
Oui, je suis très intéressée par le genre horrifique. La littérature gothique a notamment eu beaucoup d’influence sur The Eternal Daughter. Mais en ce moment, j’ai une obsession pour les films noirs. On verra si ça donne lieu à un prochain film…
Déjà dans The Souvenir, vous mélangiez les genres avec un mix entre teenage movie, drame et film d’espionnage.
Je suis contente que vous ayez vu le film d’espionnage parce que c’était très important pour moi. Je pensais notamment à Soupçons d’Hitchcock en tournant le film. Alors que pour The Eternal Daughter, c’est plutôt Psychose que j’ai revu.
“Un jour, j’ai décidé que je ne remettrais plus les pieds à la télévision, à exécuter des projets dans lesquels je ne pouvais pas m’exprimer artistiquement.”
À la sortie de votre école de cinéma, vous avez travaillé pendant quinze ans à la télévision avant de réaliser votre premier long métrage Unrelated en 2007. Pourquoi avoir laissé passer autant de temps entre votre film de fin d’études et votre retour au cinéma ?
À la fin de mon cursus à l’école, je sentais qu’on ne m’avait pas appris comment travailler avec des acteur·rices. J’ai eu l’idée de travailler durant un an à la télévision pour apprendre la direction d’acteur·rice. Je n’avais pas imaginé que j’y resterais aussi longtemps, mais c’était confortable. Il faut aussi ajouter qu’à la fin de mes études, j’avais perdu confiance en moi et ambition. C’est, je le crois aujourd’hui, à cause des critiques négatives de mes professeurs à propos de Caprice que j’ai perdu mon ambition de cinéma pendant aussi longtemps.
Comment l’ambition a fini par revenir ?
En recommençant à zéro. Un jour, j’ai décidé que je ne remettrais plus les pieds à la télévision, à exécuter des projets dans lesquels je ne pouvais pas m’exprimer artistiquement. Mon premier film, Unrelated, a été très formateur, ça a été ma véritable école de cinéma.
Votre relation avec Tilda Swinton est très profonde et dépasse le cinéma. Son rôle dans votre film de fin d’études est son tout premier et vous avez aussi fait débuter sa fille dans The Souvenir. Tilda avait donc été votre alter ego en 1986, puis votre mère en 2019, et là dans The Eternal Daughter elle est les deux à la fois !
Nous sommes des amies très proches. Mais au départ, elle ne devait jouer que la fille et pas la mère. C’est elle qui a proposé de jouer les deux. J’ai d’abord eu une réaction très positive puis j’ai réalisé à quel point ce serait compliqué en termes de mise en scène. Le challenge était de conserver ma méthode de travail – improvisation, tournage chronologique – malgré cette contrainte, tout en n’ayant pas recours à des effets spéciaux. Je ne voulais pas me sentir contrainte par la technique. Je ne voulais pas non plus que le film ressemble à Faux-Semblants de Cronenberg, où la mise en scène joue constamment sur la coprésence des deux Jeremy Irons. Là, j’assume un côté assez autonome des deux portraits, celui de la fille et de la mère. Je ne savais pas si ça allait fonctionner mais je trouvais ce pari excitant.
Vous avez revendiqué l’influence de Rohmer ou Ozu. Mais il semble que votre cinéma se dirige vers d’autres terres aujourd’hui.
Mon premier film est très influencé par Le Rayon vert. Plus le temps passe, moins je me réfère à d’autres films et plus je fabrique un cinéma qui me ressemble. Et la littérature est pour moi aujourd’hui plus inspirante que le cinéma.
Votre travail a connu, en tout cas en France, un vrai saut de reconnaissance avec The Souvenir, alors que vos trois films précédents n’étaient pas sortis en salle. Aujourd’hui, vous avez cette rétrospective à Pompidou. Comment vivez-vous ce changement assez soudain de statut ?
À vrai dire, je me sens un peu submergée par tout ça. Je suis très heureuse et honorée, mais je n’étais pas malheureuse de mon statut précédent. Et puis une rétrospective, cela signifie regarder vers le passé, alors que j’ai très envie de penser au futur.
“Delphine Seyrig incarne ses personnages dans une forme de transe, dans le sens spirituel du terme.”
En 2015, vous avez co-curaté une exposition sur Chantal Akerman à Londres. Comment avez-vous accueilli l’élection de Jeanne Dielman comme plus grand film de l’histoire du cinéma ?
L’histoire du cinéma est en train de changer. Évidemment certaines personnes sont insatisfaites ou réduisent cette élection à sa portée symbolique. Ce qu’on a, à mon sens pas assez dit, c’est à quel point cette élection est une rupture formelle dans la façon dont on envisage la mise en scène de cinéma. Si je me réjouis qu’une femme ait pour la première fois été élue, le plus marquant pour moi est la rupture esthétique majeure que représente cette élection. Mais j’ai l’impression qu’on en a plus parlé en France qu’au Royaume-Uni. La vie culturelle est, de mon point de vue, moins développée et passionnée en Grande-Bretagne. Je m’en suis aussi rendu compte lors de la promotion de The Souvenir en France. Pour la première fois, j’étais face à des personnes qui avaient compris mes films. Je devrais apprendre le français et faire des films ici. [rires]
En parlant de Jeanne Dielman, je trouve que Tilda est un peu une héritière de Delphine Seyrig. Notamment dans le sens où elle donne à sa carrière une portée politique sur le genre et qu’elle s’implique dans les projets au-delà de son rôle d’actrice.
Elle adorerait entendre ça ! Pour moi, Delphine Seyrig incarne ses personnages dans une forme de transe, dans le sens spirituel du terme et je pense que c’est un autre point commun avec Tilda. Elles ont chacune une présence unique et forte.
Dans Caprice, il est beaucoup question d’identité féminine ou de conditionnement à la féminité en tout cas. Parliez-vous déjà de féminisme et de normes de genre avec Tilda à cette époque ?
Le terme “genre” n’était pas encore vraiment utilisé. Mais oui, nous parlions de ses sujets. Nous ressentions toutes les deux une pression sur notre apparence. Étant passionnée de mode, j’étais obsédée par ce sujet. Je voulais que le film épouse cette contradiction entre injonction à la beauté et critique de la cage dorée dans laquelle elle enferme les jeunes femmes. Mes professeurs n’ont pas saisi cette contradiction.
L’inspiration pour The Eternal Daughter vient-elle de votre relation avec votre propre mère ?
Oui, j’avais écrit une première version du scénario en 2008, mais je n’étais pas prête. Je trouvais aussi que c’était indélicat pour ma mère qui était encore en vie à ce moment-là. J’ai fini par tourner le film en 2020, quand elle était encore en vie, bien qu’en mauvaise santé, mais elle est décédée pendant le montage. Je m’en veux de ne rien lui avoir montré du film, je pensais l’en préserver mais je crois que j’aurais aimé qu’elle le voie.
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