On connait les « Drag Queens », leurs faux cils et leurs faux seins. On connaît moins les « Drag kings », ces femmes qui s’amusent à se travestir en homme. Rencontre autour d’un atelier dans le cadre de la Queer Week de Sciences-Po Paris.
Depuis 2010, Sciences Po Paris organise une fois par an la « Queer Week« , une semaine de conférences, rencontres, débats, projections, expos, consacrés aux questions de genre et de sexualité. S’était glissé dans le programme de cette année un atelier « Drag king », animé par Louis(e) de Ville, franco-américaine connue pour ses spectacles burlesques mais également passée maîtresse dans l’art du travestissement masculin. A l’occasion de la Queer Week, l’artiste a donc déplacé son atelier habituellement domicilié au club parisien le Carmen, dans une salle de classe de Sciences Po.
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« Bite », « binding » et « barberie »
C’est une Louis(e) de Ville plutôt Louis que Louise qui nous accueille à l’entrée. Perruque garçonne, fine moustache, chemise de bûcheron et Doc Martens noires : la transformation est saisissante. On ne peut s’empêcher de chercher la femme Louise dans ces grands yeux bleus, forcément non maquillés. Sur les tables sont disposés des miroirs, des cotons et des touffes de poils. Le travestissement peut commencer. « On va faire nos bites », lance Louis(e) avec son charmant accent américain, en montrant comment bourrer des collants avec du coton et glisser le tout dans le pantalon. Elle enchaîne les blagues sur la grosseur ou non de l’engin. Des rires fusent.
Deuxième étape : le « binding », qui consiste à « effacer » sa poitrine en la comprimant à l’aide de bande adhésives. Ni une ni deux, les participantes font voler tee-shirts et soutifs, et se retrouvent à défiler, seins nus, devant Louis(e) qui bande leurs poitrines avec une sacrée dextérité. « Tire ton sein par là », assène-t-elle à l’une, avant de s’esclaffer devant le travail mal fait d’une autre, qui se retrouve avec un « mono-boob » (un mono-sein). Les bandes compriment sévère et certaines ont du mal à s’y habituer. Pour Louis(e), c’est le moyen, aussi, d’adopter une posture « plus masculine » : plus rigide, plus droite. Une fois chaque poitrine momifiée, les filles troquent leurs vêtements féminins pour des habits d’hommes. Cravate pour l’une, chapeau ou chemise pour les autres.
On est enfin prêtes pour l’étape « barberie« , sûrement la plus drôle de toutes (c’est pas tous les jours qu’on peut s’affubler d’une fausse moustache). Armée d’un « man-scara« , Louis(e) épaissit les sourcils de chacune avant de nous inviter à nous coller quelques poils sur la figure histoire de ressembler, vraiment, à un homme. Mais attention, il ne s’agit pas ici de se déguiser à la va-vite juste pour poster des photos de nous en femmes à barbe sur Instagram. Chacune doit trouver son « alter-ego masculin » et le doter d’une pilosité appropriée à son caractère. Certaines ont des idées bien arrêtées. Comme Daisy, qui, casquette de travers, se lance dans la veine « Matt Pokora » et se fait donc un fin collier de barbe sur le visage à l’aide de vaseline et de poils. Une autre se colle un duvet au dessus-de la lèvre supérieure, en mode adolescent. On opte pour des pattes noires de chaque côté du visage, que l’on dessine avec une petite éponge et une sorte de cirage. Effet garanti.
Un défouloir anti-masculin ?
Une fois toutes et tous déguisés en hommes (même les trois mecs de la soirée se sont collé des poils), Louis(e) embraye sur la partie plus théâtrale, et aussi la plus maladroite, de son cours de masculinité : celle où l’on apprend à se tenir comme un homme, à marcher comme un homme, à serrer la main comme un homme. Les clichés s’accumulent. L’atelier prend soudain des airs de défouloir anti-masculin.
« Quand vous êtes dans le métro, prenez la place qui vous revient. Ne vous excusez pas comme le font les filles », déclare Louis(e), en mimant la posture, calée au fond d’une chaise, les jambes écartées.
La Drag king nous conseille, aussi, de ne pas sourire, de « ne pas aller vers le monde » (comme le font les femmes) mais d’afficher une expression neutre (caractéristique apparemment masculine). On s’y perd : l’atelier consiste-t-il à définir l’homme ? A se moquer de ses attitudes ? Non. Louis(e) rappelle que nous sommes là pour pointer les stéréotypes sur l’homme véhiculés par la société, pour prendre conscience de la pression qu’exerce cette même société sur les femmes et les hommes. Questionner les codes masculins/féminins en les parodiant.
Pour appuyer son propos, la Drag king en chef attire notre attention sur la façon qu’ont hommes et femmes de prendre des objets. Alors que l’homme aura un geste assez raide, la femme, elle, se servira davantage de son poignet, développant une gestuelle souvent plus souple. Ces gestes ne font pas partie d’une « essence » masculine ou féminine. Bien au contraire, ils nous sont, selon elle, dictés par la société. C’est ce qui explique qu’un homme utilisant davantage son poignet soit souvent considéré comme efféminé. Le propos est pertinent.
Dernier exercice : trouver sa voix et son rire d’homme, un poil façon Père Noël (ho ho ho). Les garçons qui participent à l’atelier s’y exercent aussi. L’un d’eux, Julien, nous expliquera par la suite être venu par intérêt pour « le queer, le genre, le féminisme » :
« Tous les clichés de genre m’intéressent, tous les clichés sexistes, et pas seulement la dévalorisation de la femme. Il y autant de clichés concernant les hommes que les femmes. »
On apprendra que les deux autres sont loin d’être étrangers au milieu queer : l’un fait partie des Soeurs de la perpétuelle indulgence, groupe de militants homosexuels qui se travestissent en bonne sœur à la sauce Drag queen. L’autre participe à l’organisation de la Queer Week.
« Freak » de service
L’atelier terminé, on fait un bout de chemin avec Louis(e) de Ville, en pleine tempête de neige. Le temps d’apprendre que la jeune femme – qui refuse de dévoiler son âge mais à qui on donne une petite trentaine – vient d’une « petite ville chrétienne conservatrice« , située non loin de Louisville, aux États-Unis, dans laquelle elle passait pour la « freak » de service et avait « mauvaise réputation ». Elle a eu envie de se déguiser en homme en fréquentant des hommes déguisés en femme et n’a découvert le mouvement Drag king que bien après. Car Louis(e) de Ville est loin d’être la première femme à se déguiser en homme. La pratique, sûrement éternelle, a commencé à faire parler d’elle au début du XXe siècle, avec le mouvement « garçonne ». Elle est loin, aussi, d’être la première à animer des ateliers sur la question. On attribue généralement leur maternité à l’artiste burlesque Diane Torr qui a lancé ses « Man For A Day » en 1989 à New York.
Ce n’est pas tant l’homme qui fascine Louis(e) de Ville que les clichés véhiculés sur les genres, qu’elle aime souligner avec emphase, en se travestissant en « L’homme » avec un grand L, ou en se parant de vertigineux faux cils pour se glisser dans la peau de la « femme trop » : « trop glamour, trop fatale, trop drôle » explique-t-elle avec un air malicieux. Quel serait le bon équilibre ? Le genre neutre ? Très peu pour elle. L’androgynie n’est pas son dada. Ce qui l’intéresse, c’est « l’exagération », la « sensualité » de l’homme comme de la femme, mais aussi et surtout le décloisonnement : « j’invite à se servir des codes masculins et féminins, à élargir notre vocabulaire physique« .
Carole Boinet
Porte-jarretelles et piano à bretelles, show burlesque de Louis(e) de Ville, jusqu’au 17 mars à l’Alhambra (Paris)
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