La franchise de Keanu Reeves persiste dans son programme de beat’em all à l’épure, avec cette fois, peut-être, une légère pointe d’ironie.
Le soleil se lève, les oiseaux chantent, John Wick tue. Voilà bientôt dix ans que la série de films de Keanu Reeves, réalisée par l’ancien cascadeur Chad Stahelski, tient son office, et trois épisodes (le premier était ancré dans un monde criminel encore vaguement concret, sans aller jusqu’à le qualifier de réaliste) qu’elle maintient sa suspension dans une abstraction extatique de cinéma d’action à la hongkongaise, sans autre chair que son principe d’affrontement permanent, éternellement reconduit par la vengeance et les dettes de sang.
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Parti de la mort d’un chien et depuis déployé tous azimuts par une spirale vengeresse agissant comme un effet domino, John Wick ne raconte rien : son récit se fonde toujours sur des prétextes très théoriques (honorer une allégeance, acheter sa réhabilitation…) pour envoyer John semer aux quatre coins du globe un même déchaînement de barbarie chorégraphiée.
Apothéose zen
Alors qu’est-ce qui nous plaît là-dedans ? La jouissance de l’action bien sûr, l’ordonnancement impeccable et luxueux du monde aussi (un système criminel mondialisé quasi féodal régi par une poignée de lois inaltérables), la pureté de la démarche, surtout. Car il est remarquable de constater comment la franchise ne s’est jamais déployée au-delà de son propre dogme, à quel point elle n’a pas trahi son épure, à commencer par son extrême ténuité temporelle (pas une ellipse, pas un balayage : si l’on met bout à bout les péripéties de tous les épisodes, on constate non sans un certain vertige que l’on ne connaît en réalité John Wick que depuis quelques jours). Ce qui accroche dans John Wick, ce n’est pas l’action en tant que telle, mais l’effet paradoxal de stase qu’elle produit, l’espèce d’apothéose zen dans la violence. Comme un déluge étrangement anesthésiant de sbires anonymes se précipitant sans protestation ni peur vers leur mort certaine dans les bras d’un héros apathique, hagard – douce faucheuse mélancolique que seul pouvait bien sûr incarner Keanu Reeves.
Ataraxie sanglante
On n’attendait donc rien de plus de cet épisode 4, dont on rechigne presque à donner le très accessoire pitch (un jeune chef charismatique du crime mondial met à grand prix la tête de John, et c’est reparti pour un tour), mais dont on remarque, tout de même, une très légère inflexion, un imperceptible dièse : comme une sorte de surconscience de sa propre forme. Notamment en ce qui concerne l’héritage vidéoludique déjà bien identifié de la série, que certaines scénographies (l’ascension des marches de Montmartre) et certains points de vue (une séquence en vue de dessus façon Hotline Miami) viennent ici appuyer au point d’installer une forme de distanciation, de second degré – planant également au-dessus de certains personnages secondaires tout droit sortis de Kill Bill.
Pas certain que la franchise, qui a acquis un statut de doudou geek dont elle pourrait bien s’enivrer, gagne à prendre cette direction – elle est, fort heureusement, encore très loin d’y perdre son inimitable ataraxie sanglante.
John Wick : Chapitre 4 de Chad Stahelski avec Keanu Reeves, Donnie Yen – en salle le 22 mars
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