Le journaliste d’investigation revient sur la presse française et le harcèlement dont est victime le groupe de hip-hop La Rumeur.
Que penses-tu des Etats généraux de la presse qui ont débuté la semaine dernière, et qui ont été initiés par Nicolas Sarkozy ?
Sarkozy fait ça sur tous les fronts. On se souvient du Grenelle de l’environnement, et on se dit que c’est un peu la même chose, qu’on a déjà vu et entendu ça quelque part. Les bonnes questions sont posées, les bons thèmes sont abordées. Mais quand on voit le Grenelle de l’environnement, près d’un an après, on voit que peu de réponses ont été données. Ces Etats généraux de la presse, c’est un sommet de Sarkolangue. Ce qui m’inquiète c’est qu’une des idées qui sous-tend ces rencontres, c’est une volonté de déréglementation de la concentration.
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Quelles seraient les conséquences de cette déréglementation ?
Il est trop tôt pour le dire, ce serait faire un procès d’intention. Par contre, si l’on s’en tient aux faits, on voit par exemple qu’au sein de ces Etats généraux, le type qui est chargé de l’aspect « industriel » des problèmes de la presse, c’est un quelqu’un qui s’appelle Arnaud de Puyfontaine, c’est-à-dire l’homme qui a organisé la vente du groupe EMAP à Mondadori – Mondadori c’est Berlusconi. Le mec a été patron de Mondadori pendant un certain temps. Si on se dit que son expertise et son savoir-faire s’appuie sur la gestion d’un groupe comme Mondadori, on est en droit d’avoir peur. En Italie, la mainmise de Berlusconi sur la presse et la télévision a parfois signifié la fin de la liberté d’expression, notamment dans le domaine du journalisme sérieux d’enquête sur le pouvoir. Là je fais peut-être un scénario catastrophe, mais dans le fond je trouve ça assez intéressant. On a affaire à une presse d’opinion aujourd’hui, les faits sont laissés de côté : les services d’investigation des journaux majeurs ont aujourd’hui été réduits à peau de chagrin.
Est-ce que vous en tant que journaliste d’investigation vous ressentez plus de difficultés à faire votre travail ?
La presse est malade, mais Le Canard enchaîné, par exemple, se porte plutôt pas mal quand on regarde bien. Quand les organes de presse sont indépendants économiquement on voit que l’investigation est possible et que les lecteurs viennent. Le problème, c’est que cette indépendance est de plus en plus rare. Au Figaro, les lecteurs partent car il y a un mélange des genres de plus en plus voyant. La situation n’a jamais été aussi dégradée que sous Sarkozy. Je n’ai jamais vu un tel niveau de conflit avec les journalistes. A France 24 on dégage deux journalistes indépendants pour les remplacer par quelqu’un qui vient du pôle Lagardère. Le président annonce qu’après la suppression de la pub c’est lui qui va nommer le patron de l’audiovisuel, et qui ensuite dit qu’il souhaite créer un Observatoire du pluralisme de la presse, qui sera contrôlé par… le Premier Ministre. On va vers le contraire de ce qui est le libéralisme à l’anglo-saxonne, qui lui garantit à la presse son rôle de quatrième pouvoir. Non, sérieusement en France c’est un moment difficile pour les journalistes.
Que pensez-vous de la scission à Charlie Hebdo après l’affaire Siné, qui aboutit à la création d’un nouveau journal ?
On est à la limite du burlesque. Ils s’empaillent au nom de la liberté alors qu’il y a d’autres problèmes qui se posent du point de vue de la liberté d’expression. Quand on voit ce qui arrive au groupe La Rumeur, qui est poursuivie en Cassation par l’Etat. Ça à mon sens ça devrait être en Une de Charlie Hebdo, du Monde ou de Libération. C’est aussi grave que les caricatures de Mahomet. Les mecs de La Rumeur ont recours à des juristes et des historiens pour défendre des propos qu’ils ont tenu sur le rôle de la police, et ils sont harcelés par le Ministère de l’Intérieur. Sur l’histoire de La Rumeur, la mobilisation devrait même dépasser les clivages gauche/droite, c’est très grave.
Propos recueillis par Pierre Siankowski
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