Gonzague Dupleix, monsieur style du mensuel “GQ” et auteur de « Comment rester chic en toutes circonstances », illustré par Jean-Philippe Delhomme, confie sa vision du style pour les hommes en 2017.
Gonzague Dupleix est le monsieur style de GQ. A chaque numéro du Gentlemen’s Quarterly, le jeune journaliste régale ses lecteurs de conseils d’élégance aussi pertinents que désopilants, tant il aime à employer un ton fleuri, délicieusement suranné. Un recueil de ses chroniques est paru fin 2016 aux éditions Flammarion. Comment rester chic en toutes circonstances est un livre en huit chapitres dévoilant les arcanes du style pour les hommes. A une époque où le style n’a plus de chapelle fixe, où la mode est éclatée entre mille et une paroisses, nous avons demandé à l’auteur de nous éclairer sur ce qu’être stylé signifie en 2017.
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Qu’est que le style selon toi ?
Gonzague Dupleix – Cela va dépendre du contexte dans lequel tu te trouves. Il y a une batterie de codes que tu peux utiliser pour te sentir à l’aise, et à partir desquels tu peux décider, ou non, de mener une vie élégante. La vie élégante, ce n’est pas nécessairement d’avoir sa cravate bien mise tout le temps. L’idée c’est de décortiquer toutes les situations de la vie qui peuvent se présenter à un homme, et dans chaque cas pratique, de l’analyser avec le prisme du style. C’est une sorte d’éthique.
Dans ton livre, tu utilises un vocabulaire fleuri, qui contraste avec l’époque. Pourquoi ce un parti pris ?
Certains trouveront ça vieillot, d’autres lourd, et d’autres encore dirent que c’est recherché et fleuri. Mais à mon sens, cette façon d’écrire donne un ton qui te permet de te situer dans un sujet. Ici, le narrateur se met à distance avec son sujet, à la différence d’un ton froid et journalistique, où la mise à distance serait plus difficile à trouver.
On perçoit dans tes pages un certain sens de l’auto-dérision…
Il faut que je revienne sur les deux grandes visions du style et du chic. La première est la définition « club de membres », codifiée à l’extrême, où n’entrent que les élus qui portent un costume de tailleur, une cravate et la raie sur le côté. Je caricature un peu bien sûr, mais selon cette définition, tous ceux qui ressemblent à Jon Hamm dans Mad Man ont gagné, et les autres sont des nuls. Bref, une définition élitiste.
La deuxième vision pourrait être résumée ainsi : « Salut mec, tu mets des jeans moches ? Eh ben c’est pas grave, parce que si tu le combines avec telle ou telle pièce, telle ou telle attitude, c’est cool aussi, et t’auras moins l’air d’un plouc aux yeux de celui qui va te regarder ». Avec cette vision du style, un jeune homme pourra tirer son épingle du jeu dans cette société des apparences, car cette dernière existe, elle est réelle et il ne faut pas la nier. Elle traverse les âges. Le but n’est pas d’appartenir une caste de gens stylés en revanche. Les gens de la rue s’affranchissent des codes vestimentaires, mas en respectent pourtant de nombreux autres. Pour moi qui viens de province, l’idée est de connaître, et de faire connaître les règles qui régissent certains milieux, pour mieux pouvoir s’en amuser par la suite.
Voilà une vision bien conquérante de la mode : savoir s’habiller pour mieux infiltrer de nouveaux milieux sociaux ?
Le style est un véhicule qui peut être utilisé par chacun. Oui, c’est un fait, un costume, porté de telle ou telle façon, peut vous aider à avoir une promotion, à serrer une meuf, ou un mec, et de commander plus vite dans un bar ou un restaurant. Je pense aussi que le panache est sous-employé. Les gens ne sont pas forcément guidés par une envie de panache et d’éclat généreux et collectif, comme tu peux le voir dans les films de Vincent Macaigne.
Mais ne peut-on pas être stylé sans chic ou panache?
Effectivement, si l’on se met en résonance avec notre époque, on s’aperçoit que la société des apparences telle que nos aînés l’ont connue a disparu. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existe plus, elle a simplement changé de visage. Avant la société était divisée entre ceux qui possédaient les codes du style, et ceux qui en étaient dépourvus. Aujourd’hui, ce sont ceux que j’appelle des « tribus » qui dominent le monde. Un mec en hoody comme Mark Zuckerberg influence forcément la planète avec sa façon de s’habiller. Et pourquoi ce dernier accepterait les codes vestimentaires d’une génération à laquelle il n’appartient pas en cherchant une respectabilité, alors qu’il a lui même changé les règles du jeu auprès du monde entier ?
L’aristocratie du goût est donc un vestige du passé ?
L’aristocratie du goût n’est plus concentrée à un seul et même milieu qui détient les codes de la vérité. Il n’y a plus de tailleur à chaque coin de rue. Tout est éclaté, et pour connaître l’actualité du style, il faut aller enquêter dans chacune des tribus pour découvrir ce qu’il s’y passe, comment ils sont. Le pouvoir traditionnel a encore du pouvoir : dans le milieu financier, tu dois mettre un costume sombre, arborer une coiffure bien nette. Mais dans l’univers du spectacle, et les nouvelles économies, il y a une plus grande liberté. Mon livre répond à l’idée de sauter d’un aquarium de style à un autre pour être le plus agile possible et rendre cette quête la plus excitante possible.
Tes réponses ne trahissent t-ils pas une vision instrumentalisée du style, comme moteur d’ascension sociale et non comme expression de soi ?
Il n’est pas incompatible d’instrumentaliser certains codes, tout en se façonnant une apparence fidèle à sa personnalité. On est tous confronté à différents moments à des changements de milieux, de mondes (déménagements, nouvel emploi, etc.) et pour être accueillis plus facilement dans ce nouvel univers, il peut être utile de manœuvrer.
Mais je n’invite personne à se prendre la tête outre-mesure, mais à se faire plaisir ! Ne passez pas vos week-ends dans des magasins mais allez à la campagne avec vos amis en rigolant ! L’instrumentalisation du style, ça ne sert qu’à certains moments, pour faire du rentre-dedans à la vie.
Les modes changent très vite. Dans un monde où les codes du style ne sont jamais fixes, quelle légitimité y a-t-il à écrire un manuel prescripteur ?
On est dans une époque où on a le fantasme qu’on peut s’inventer une vie parce qu’on possède la richesse suffisante pour le faire. C’est d’ailleurs une très bonne chose. C’est pourquoi on assiste à une explosion des styles, et chacun avec son univers va améliorer le sien propre. Aussi, les Parisiens ont des tics en matière de style, et je mets souvent en garde mes lecteurs contre cela, afin de leur éviter le ridicule. J’invite les gens à ne pas se laisser impressionner par ce que Paris nous dicte, à ne pas être too much. Il y a un travail de tri à faire. Il s’agit de ne pas tomber dans l’écueil du provincial qui en arrivant dans la capitale veut à tout prix ressembler à un hipster. Le style doit être à la fois conquérant et à la cool, généreux et non discriminant.
Comment rester chic en toutes circonstances de Gonzague Dupleix, illustré par Jean-Philippe Delhomme (Flammarion) 180 pages
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