Éric Chevillard signe un texte loufoque sur un narrateur qui perd sa vie à tenter d’écrire. Au-delà de la prouesse stylistique, l’auteur de “L’autofictif” évoque avec mélancolie le temps qui passe
On perd toujours quelque chose, dans le monde d’Éric Chevillard. Une tortue, des animaux préhistoriques, des êtres chers, un vieil écrivain englouti par le temps, une enfance désormais lointaine. Et ses textes hilarants sont peut-être précisément une tentative désespérée de courir après ce qui est fini ou de retenir ce qui risque de disparaître.
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Dans ce nouveau livre, joyeuse mise en scène des affres de la création littéraire, un narrateur perd sa femme, son fils, sa raison, tout ça pour essayer d’attraper un sujet qui constamment lui échappe – petit animal menaçant, fuyant, intraitable au sens propre. Immergé dans son obsession, le narrateur ne voit pas que tout se délite autour de lui.
Du roman noir au burlesque
On perçoit le fol amusement que prend l’auteur de Démolir Nisard (2006) à ausculter différents aspects du roman moderne (qu’est-ce qu’un sujet ? Est-il indispensable d’en avoir un et si oui que doit-on en faire ?) sur le mode du non-sens dont ce grand styliste est passé maître, mélange d’élégance et de loufoquerie. On se réjouit particulièrement de l’affrontement du héros avec un certain Gorius, plagiaire avide de succès. Un personnage plus inattendu hante ce texte débuté comme un roman noir suranné. Oleg, apprenti malfrat, pourra-t-il aider le narrateur à capturer son sujet ? Chevillard précipite allègrement sa narration, car son héros, tout à son obsession, ne voit pas les années passer. Diverses couches de temps assaillent cet homme reclus en lui-même – “Je sais que la nuit est noire parce que je hoquette dans mon lit, parce que je hurle et que maman ne vient pas”. Et son fils, petit garçon qu’il a tenté d’enfermer dans la cave pour être certain de pouvoir le localiser, se révèle soudain adulte, et désormais lointain.
Ainsi file le texte de Chevillard, de page en page et du rire aux larmes, du roman noir au burlesque. Pour dire l’angoisse face aux dangers du monde et le regret de s’apercevoir qu’un amour se termine et qu’un enfant a grandi.
La Chambre à brouillard, d’Eric Chevillard (Minuit), 208 pages, 18 €. En librairie.
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