L’auteurisme pop-multiversel d’“Everything Everywhere All At Once” et une superproduction Netflix raflent onze statuettes, tandis que tout ce qui pouvait s’apparenter un peu plus classiquement à du cinéma repart bredouille. Brutal.
C’était un scénario envisagé, mais tout de même pas sous une forme aussi appuyée. Everything Everywhere All At Once, que les commentateurs de l’argus hollywoodien n’ont pas vraiment réussi à classer ces derniers mois entre la place du favori (en tête des nominations, avec onze chances de statuette) et celle de l’outsider (un format très pop qui n’a jamais vraiment cartonné jusqu’ici aux Oscars), vient de régler la question.
Le film des Daniels quitte le Dolby Theater avec sept récompenses dont meilleur film, meilleure actrice pour Michelle Yeoh, meilleurs seconds rôles pour Jamie Lee Curtis et Ke Huy Quan. Un seul autre film échappe significativement à cette razzia monopolistique : À l’ouest rien de nouveau, film de guerre germanophone sorti en catimini sur Netflix à l’automne mais sur lequel la plateforme a, à la surprise générale, décidé de mettre toutes ses billes pour sa campagne cérémonielle.
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Nouvelle hiérarchie de valeurs
Un palmarès qui entérine donc les nouvelles hiérarchies de valeur du paysage hollywoodien. Produit par les réalisateurs d’Avengers, EEAAO (on dit comme ça) a cartonné en salles et auprès des publics plus jeunes grâce à une forme de naturalisation art house de la notion la plus en vogue du paysage blockbuster de ces dernières années, le multivers.
Sa victoire côte à côte avec un produit totalement parachuté par Netflix est une relégation au second plan de beaucoup d’objets sortis en salles au profil très communément oscarisables : les usual suspects du palmarès que sont le biopic (Elvis), la pièce de théâtre filmée à superstars (Les Banshees d’Inisherin), le drame néoclassique luxueux (Tár), le film de Spielberg (The Fabelmans) cumulent un total de zéro (0) récompense. On aurait espéré qu’un tout petit peu de terrain fût concédé par exemple à Cate Blanchett (que Yeoh a eu l’inélégance d’interpeller sur Instagram en amont de la cérémonie) ou Spielberg.
Le crépuscule des vieilles idoles
Mais l’heure est au crépuscule des vieilles idoles (qui ont déjà une cheminée bien décorée, certes), au triomphe des nouveaux cool kids (A24, la société productrice d’EEAAO et The Whale, gagne dans neuf catégories et occupe désormais la place du géant indé faiseur de rois comme personne depuis… Harvey Weinstein). Elle est aussi à la reconnaissance de la diversité (édition historique pour la représentation asiatique à Hollywood, avec notamment la toute première victoire en catégorie meilleure actrice) et à la résurrection de visages disparus de la pop culture, qui ont offert à cette soirée ses moments les plus émouvants : Ke Huy Quan (sous le regard lui aussi très ému de Spielberg, qui l’a lancé voilà bientôt 40 ans dans Indiana Jones 2) et Brendan Fraser (pour sa prestation dans The Whale, après deux décennies de perdition dans les limbes de la série B).
Les sauveurs du box-office Top Gun et Avatar repartent honorés d’un simple Oscar technique (respectivement son et effets visuels), en l’absence notable de Tom Cruise et James Cameron. La récompense de Sarah Polley pour le scénario de Women Talking fait figure de lot de consolation pour l’absence controversée de réalisatrices nommées. Et le passage à vide de Pixar et Disney profite à Guillermo del Toro et son Pinocchio (également sur Netflix).
Enfin du côté de la cérémonie elle-même, l’Académie a manifestement pu savourer une soirée sans anicroche, interversion d’enveloppe, sketch polémique ou mandale sur scène, grâce à la faveur passagère du hasard, mais aussi à la maestria d’un Jimmy Kimmel. Le host a eu la clairvoyance d’aborder tous les sujets qui fâchent (parité, plateformes…) avec une espèce de cynisme douceâtre qui rend presque imperceptible son agressivité de fond – il n’est fondamentalement pas si loin d’un Ricky Gervais, mais fondu dans un flegme de présentateur de late night show.
Reste à savoir, dans les prochaines heures, si la cérémonie a commencé à redresser la barre des audiences. Et si c’est le cas, à quoi elle le devra : au fait d’avoir pris acte d’un renversement de valeurs et célébré un auteurisme pop apprécié en salles ? Ou simplement aux téléspectateur·ices qui ont allumé leur poste en espérant voir une nouvelle baffe ?
Voici le palmarès complet :
Meilleur film : Everything Everywhere All at Once
Meilleur réalisateur : Daniel Kwan et Daniel Scheinert (Everything Everywhere All at Once)
Meilleur scénario original : Daniel Kwan et Daniel Scheinert (Everything Everywhere All at Once)
Meilleur scénario adapté : Sarah Polley (Women Talking)
Meilleur acteur : Brendan Fraser (The Whale)
Meilleure actrice : Michelle Yeoh (Everything Everywhere All at Once)
Meilleur second rôle masculin : Ke Huy Quan (Everything Everywhere All at Once)
Meilleur second rôle féminin : Jamie Lee Curtis (Everything Everywhere All at Once)
Meilleure musique originale : Volker Bertelmann (À l’Ouest, rien de nouveau)
Meilleure chanson originale : Naatu Naatu par Kala Bhairava, M. M. Keeravani, Rahul Sipligunj (RRR)
Meilleur film étranger : À l’Ouest, rien de nouveau, réalisé par Edward Berger
Meilleur film d’animation : Guillermo del Toro’s Pinocchio, réalisé par Guillermo de Toro
Meilleure photo : James Friend (À l’Ouest, rien de nouveau)
Meilleurs décors : Christian M Goldbeck et Ernestine Hipper (À l’Ouest, rien de nouveau)
Meilleurs costumes : Ruth Carter (Black Panther : Wakanda Forever)
Meilleurs maquillages et coiffures : Adrien Morot, Judy Chin, Annemarie Bradley (The Whale)
Meilleur montage : Paul Rogers (Everything Everywhere All at Once)
Meilleur son : Mark Weingarten, Chris Burdon, Al Nelson, Mark Taylor (Top Gun : Maverick)
Meilleurs effets visuels : Joe Letteri, Richard Baneham, Eric Saindon, Daniel Barrett (Avatar : La Voie de l’eau)
Meilleur documentaire : Navalny, réalisé par Daniel Roher
Meilleur court métrage documentaire : Ceux qui murmuraient à l’oreille de l’éléphanteau, réalisé par Kartiki Gonsalves
Meilleur court-métrage : An Irish Goodbye, réalisé par Tom Berkeley et Ross White
Meilleur court-métrage d’animation : L’Enfant, la taupe, le renard et le cheval, réalisé par Charlie Mackesy et Peter Baynton
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