A l’occasion de la sortie de son nouveau maxi « Desillusions », on a entrainé le producteur électronique français sur le terrain de l’esthétique et de ses influences. Interview.
Grosse dégaine de la musique underground française, Arnaud Rebotini impose depuis vingt ans une identité visuelle et artistique extrêmement puissante. Avec beaucoup de charisme, il combine des influences et des projets aussi divers qu’improbables, prenant toujours un malin plaisir à aller là où on ne l’attend pas. De son projet expérimental Zend Avesta ou le plus récent Frontières monté avec Christian Zanesi du GRM (!) à la techno froide et instrumentale de ses projets solos, en passant par l’électroclash de Black Strobe, l’artiste âgé de bientôt 47 ans semble cultiver sa propre idée du style et de la cohérence. Nous sommes partis à sa rencontre pour parler de ses influences esthétiques, de son parcours et de l’idée qu’il se fait de l’élégance.
Il y a quelque chose d’assez fascinant esthétiquement dans ton travail. Quelle place accordes-tu à l’aspect visuel ?
La dimension visuelle de mon travail est très importante pour moi. Je suis musicien mais je suis aussi bien sûr un grand fan de musique et un gros acheteur de disques. Je suis donc très attaché à la question de l’objet, au fait de se procurer quelque chose de beau. D’autant que dans la musique électronique, on a beaucoup de visuels faits à la va-vite que je trouve souvent lamentables. Pour mes pochettes, j’ai la chance de travailler avec les graphistes légendaires de H5, depuis que j’ai lancé mon label Blackstrobe Records. Une vraie relation de confiance et de complémentarité s’est installée et ça a donné de très bons résultats comme avec Pagan Dance Move en 2012 où l’idée était de reprendre la pochette du premier Bathory, ou avec mon dernier EP Desillusion sorti le mois dernier pour lequel je voulais quelque chose de constructiviste.
Tes lives aussi dégagent quelque chose de très puissant, presque martial.
La scénographie est aussi bien sûr très importante dans mon travail. Bien qu’aujourd’hui ce soit un peu le cas pour tout le monde dans la techno. A partir du moment où on éclate la forme classique du live, avec basse guitare, batterie et l’énergie qui en ressort, il faut selon moi reconstruire un jeu de scène pour pouvoir prétendre proposer un vrai show, chose que je recherche avant tout. Avoir mes synthés et mes boites à rythmes sur scène, avec les câbles qui dégueulent dans tous les sens, sans laptop, jouer live le plus possible, ainsi que tout le travail de lumière et de projection sont donc bien sûr des éléments très importants. Ce n’est pas dissociable du reste finalement, c’est aussi à travers ça que je m’exprime et que je développe mon univers. Et c’est ce que je continue à faire en ce moment par exemple, en cherchant de nouvelles idées pour faire évoluer mon live.
D’où vient selon toi cette recherche de puissance musicale et scénique et ce côté dark que tu projettes? As-tu été très influencé par le cinéma ou par d’autres artistes?
Je ne crois pas non, bien qu’il m’arrive d’utiliser des extraits de vieux films italiens que j’adore dans mes lives, comme j’ai pu le faire avec le projet Code Napoleon. Et il peut bien sûr y avoir des artistes dont l’univers m’est proche comme Trent Reznor ou d’autres… Mais ça provient plus du désir de me mettre en scène moi-même je pense et de mon désir de proposer un vrai spectacle. On m’a souvent dit que j’étais atypique dans la musique électronique, voir dans la musique en général, et en vieillissant je le suis peut-être de plus en plus… Donc utiliser cette idée de personnage et me mettre en scène, ça me plait. Jouer live, utiliser la voix, les expressions, les mots et créer un ou plusieurs personnages, c’est ce qui m’intéresse.
En faisant cela tu es très loin de la position de retrait dans laquelle se retrouve d’ordinaire les artistes de musique électronique en live.
Clairement. Mais je vais aussi à l’encontre d’un certain dandysme qui régnait pendant un temps, où plein d’artistes se sont sentis autorisés à monter sur scène sans style et finalement sans être vraiment en représentation. Ca m’a toujours fait terriblement chier. Selon moi, il n’y a pas plus insupportable qu’un mec qui monte sur scène, qui fait de la bonne musique et qui ressemble à un ingénieur du son ou à toi le week-end sur ton canap’. Tous les grands artistes ont une image, jouent des personnages, sans pour autant se travestir vraiment. C’est l’élégance pour moi, rien de plus, c’est ce qui me plait chez les autres artistes et c’est ce que j’essaye de cultiver.
Tu évoquais l’esthétique du cinéma italien des années 1960-1970. Quelles ont été tes influences musicales et esthétiques?
Ce qui m’a fait commencer, c’est les débuts très électroniques du hip-hop, Run DMC, le film Planet Rock etc. Tout ça me fascinait, surtout musicalement. Ensuite, mon univers artistique est très influencé par la musique blues, 60’s, country même, où je retrouve quelque chose de très puissant. En électronique tout ce qui est expérimental m’a toujours intéressé, le kraut, les débuts de la techno et toute la techno qui n’est pas trop orientée dancefloor. Jeune, j’ai aussi joué dans des groupes de noise façon The Jesus and Mary Chain ou Sonic Youth et j’ai même chanté dans un groupe de death metal. Mais ce mélange très large d’influences a toujours été ma marque de fabrique au fond. Je me sens très libre et surtout je ne me sens pas obligé de proposer tout le temps la même chose. Je n’ai jamais été restreint par quelque chose de fixé par l’exigence du public donc c’est assez naturellement que je mélange toutes ces influences pour mes productions.
Ca a toujours été le cas ce sentiment de liberté?
Artistiquement, j’ai longtemps bricolé, et souvent des choses très radicales. Mais je pense que la radicalité aujourd’hui, ça ne veut plus dire grand chose. À l’époque quand on a débarqué avec le premier album de Black Strobe on m’a pris pour un fou, pour un gothique, alors que maintenant c’est devenu un compliment. Entre temps, cette esthétique froide est devenue un truc presque branché et commun… Ca n’a plus grand intérêt pour moi. En fait, je crois que ce que j’aime c’est d’être nulle part, ou en tout cas de ne pas être dans l’air du temps. Je préfère aller vers ce que les gens déteste… Vers la country par exemple (rires) ou simplement vers des choses que je juge belles et intemporelles, aux antipodes des trucs branchés qui émergent.
Il y a justement quelque chose d’assez intemporel dans ta dégaine et dans ton personnage.
Pour moi, c’est très basique finalement et on en revient à la question de l’élégance et du souci de faire de son art un spectacle. Le mec qui a compris ça à 20 ans, c’est Nick Cave. Un jour, si mon fils me demande un conseil pour monter sur scène, je lui dirai: « tu feras comme Nick Cave. Tu mettras un costard, tu t’apprêteras et tout ira bien ». (rires) Les basiques sont à mon avis les seules valeurs qui peuvent vraiment faire l’épreuve du temps et on y revient toujours… Donc oui, la question de l’intemporel est une idée qui m’a toujours traversée et est très présente en moi encore aujourd’hui. Le décalage du temps est déjà une expression poétique en soi, et cela fait partie intégrante de mon oeuvre et de mes influences.
Dans tes passions aussi?
J’ai un rapport très particulier avec mes synthés. Je les adore et ils représentent beaucoup pour moi, d’autant que c’est ce avec quoi je compose l’essentiel de ma musique. La plupart restent dans mon studio quand je ne m’en sers pas sur scène, mais il m’arrive d’en avoir un ou deux chez moi juste pour le plaisir… Je collectionne les vinyles aussi bien sûr. Une fois de plus, il y a quelque chose de très émouvant selon moi dans le décalage dans le temps et le témoignage qu’ils transmettent. Ce sont ces émotions que je recherche et ça ne peut donc se passer qu’avec des choses qui ont vécu ou qui témoignent d’un temps ou d’une époque. Mais je me limite. Un peu de sapes, d’objets de déco, de meubles…
C’est quoi le look Rebotini?
Un beau costume italien Smalto, un foulard en soie de la marque française A piece of chic et des bijoux en or, pour le côté à l’ancienne et rock’n roll.
Qu’est-ce qui trône en ce moment dans ton salon?
En ce moment, les coffrets de14th floor elevator, et de The Groundhogs, sortis pour le Record Store Day de l’année dernière, ainsi que Watertown de Frank Sinatra trônent dans mon salon. Il y a aussi le coffret du film Heartworn Highways qui retrace l’histoire du mouvement Outlaw country que j’aime beaucoup. J’ai de plus en plus de bouteilles de whisky américain aussi. J’aime beaucoup ça et ça fait écho à mon obsession pour le blues et la country. Bref, oui, que des trucs intemporels ! (rires)