Alors que vient de se lancer la troisième et dernière partie de la saison 4, inaugurée par un épisode spécial d’une heure plus désespéré que jamais, retour sur la série d’animation qui a médusé, et continue de méduser, une bonne partie de la planète.
L’humanité tout entière retranchée derrière d’immenses murs qui les séparent des Titans, ces mystérieux géants à l’apparence humaine dont on ignore le nombre et l’origine, mais dont on discerne sans mal l’objectif : anéantir ce qu’il reste de l’humanité.
Un groupe de soldat·es d’élite entraîné à les vaincre pour différer une inévitable apocalypse. Un jeune homme doté d’un étonnant pouvoir, capable de se muter en Titan colossal. Un sentiment de désespoir qui emporte tout, d’épais mystères et des twists à rebonds. Beaucoup de sang, pas moins de sueur, et des torrents de larmes… Voici, grossièrement, les ingrédients qui ont fait de L’Attaque des Titans, ou SnK pour les intimes – de son titre japonais Shingeki no Kyojin – un phénomène, de la publication de mangas d’abord, de l’animation japonaise ensuite.
SnK c’est en premier lieu l’œuvre de Hajime Isayama, mangaka prodige ayant publié entre 2009 et 2021 l’histoire d’une humanité acculée par des hordes de Titans, et d’un jeune homme doté d’un pouvoir susceptible d’endiguer l’apocalypse annoncée. Diffusé dans le magazine de prépublication Bessatsu Shonen Magazine, avant d’être regroupé en 34 volumes reliés, SnK rejoint en 2022 le club très select des mangas ayant écoulé plus de 100 millions exemplaires à travers le monde. Un succès colossal, décuplé depuis 2013 par son adaptation en série animée, qui s’est imposée comme l’une des plus populaires (et des plus réussies) au monde, représentée deux fois dans le top 10 des épisodes de séries les mieux notés de tous les temps sur IMDb, dont une troisième place derrière deux mastodontes du petit écran : l’antépénultième épisode de Breaking Bad, et l’épisode final de Six Feet Under.
Le Game of Thrones de l’animation japonaise
Mais à quoi tient la hype de SnK ? Peut-être à son statut de “Game of Thrones de l’animation japonaise”. Elle partage avec la série phare de HBO son ton désespéré, un goût pour les morts imprévisibles, et cette manière quasi-perverse de faire progresser son récit au fil de traumas successifs, accumulant les situations inextricables pour finalement les démêler de justesse. Le tout à grand renfort de sacrifices traumatiques. C’est que SnK dévie perceptiblement du ton généralement plus enlevé des shōnen (mangas calibrés pour un public adolescent), en réfutant quelques-uns de leurs codes censément incontournables. Pas (ou alors si peu) d’humour leste et régressif, encore moins de petites créatures kawaï pour accompagner le héros, pas plus que de fillers (des épisodes de remplissage) décontractés, mais un ton invariablement préoccupé, un sentiment de désespoir qui innerve toute la série, et une méditation inquiète sur la fin d’une humanité qu’on ne cesse de pronostiquer.
Avec ses Titans monstrueusement inquiétants, comme échappés d’un tableau de Goya, ses angoisses millénaristes qui contaminent le récit par strates successives, et ses héros et héroïnes constamment éreinté·es par l’imminence d’une destruction totale, L’Attaque des Titans creuse une esthétique du désespoir bizarrement envoûtante, que vient tout juste juguler un espoir toujours plus vacillant. Le succès phénoménal de la série chez les jeunes dit certainement quelque chose de leur rapport inquiet au monde, et SnK leur apparaît sans doute comme un refuge cathartique, qui encapsule dans son univers de dark fantasy très codifié, toutes les angoisses contemporaines.
Science du récit
Mais son succès, la série le doit aussi à sa science du récit, et à ses twists savamment distillés, trouvant le juste équilibre entre mystères impénétrables et révélations sidérantes. Tout autant qu’à son animation – assurée par le Wit Studio à l’origine, puis par le studio MAPPA depuis 2020 – qui, bien qu’usant des astuces habituelles pour limiter le nombre d’images par seconde, dégage une énergie spectaculaire. C’est notamment vrai des (nombreuses) scènes de combat à la rythmique enfiévrée, auxquelles on assiste comme face à une chorégraphie sauvagement orchestrée, et dont on perçoit l’intensité et la violence de manière quasi-organique.
Le premier épisode de la partie 3 de la saison finale (il faut suivre), qui amorce le Grand Terrassement (entendez : l’apocalypse) vient une fois de plus confirmer la santé fringante de la série, et entérine l’accession de L’Attaque des Titans au panthéon des meilleurs anime de tous les temps.
L’Attaque des Titans, saison finale partie 3, disponible sur la plateforme de VoD Crunchyroll