Créée par la journaliste Taffy Brodesser-Akner et diffusée sur Disney+ , la série “Anatomie d’un divorce” raconte les difficultés d’un père fraîchement divorcé, dont l’ex-femme s’est extraite du schéma familial traditionnel.
Journaliste au New York Times, Taffy Brodesser-Akner publiait en 2019 son premier livre, l’auscultation pleine d’ironie et de dureté de la fin d’un mariage bourgeois, qui devient aujourd’hui une série avec Jesse Eisenberg, Claire Danes et Lizzy Caplan – tous·tes les trois parfait·es. Le genre existe depuis bien longtemps et a produit au moins un chef-d’œuvre, l’éternel Scènes de la vie conjugale d’Ingmar Bergman. Durant les seventies, l’impact de la série du réalisateur suédois fut tel qu’on l’avait rendue responsable d’une vague de divorces. On doute que dans le flux mondialisé des contenus, Anatomie d’un divorce puisse se targuer un jour de la même influence, mais elle creuse un sillon proche : regarder en face la crise contemporaine du couple hétérosexuel, à travers le prisme des rapports de genre. Rien de moins.
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Elle le fait à sa manière, documentée et précise. Cruelle, aussi. Le titre original de la série et du livre, Fleishman Is In Trouble (Fleishman a des problèmes) rend justice à son point de vue : partir du personnage masculin et de ses difficultés pour ensuite créer un monde. Soit ici Toby (Jesse Eisenberg), un trentenaire brillant, hépatologue dans un grand hôpital, dont l’ex-épouse Rachel (Claire Danes)– ils viennent de divorcer – ne donne plus signe de vie du jour au lendemain, le laissant seul avec leurs deux enfants. La série revisite les étapes de leur relation, de leur rencontre à la séparation, ce qui permet progressivement à Rachel d’exister dans le récit. Une couche s’ajoute avec la voix-off, tenue par un troisième personnage, Libby (Lizzy Caplan), la meilleure amie de Toby qui prend de l’importance au fil des épisodes. Anatomie d’un divorce raconte finalement la vie d’un homme d’aujourd’hui entouré de femmes, et qui ne comprend pas grand-chose à ce qui lui arrive.
Tout est inversé
Car Toby, on le découvre à travers les flashbacks, s’occupe des enfants depuis toujours, avec en face de lui une épouse qui ne montre aucune appétence ni pour la vie conjugale, ni l’éducation des enfants, et préfère se consacrer à sa carrière d’agent littéraire. Elle veut gagner beaucoup d’argent et le reste lui importe peu. Elle est une “mauvaise mère”, en quelque sorte, un personnage retors et pensé comme tel, qui fait tout le sel de la série et lui permet de dépasser la banalité apparente de son sujet.
À travers Rachel qui littéralement refuse d’endosser son costume de mère et d’épouse pour assumer son ambition, Taffy Brodesser-Akner (l’autrice adapte elle-même son livre avec une équipe de scénaristes) déploie un point de vue féminin qui n’excuse ni justifie son comportement, mais plus subtilement, montre que son existence-même est liée à un faisceau complexe de contraintes, de schémas tout tracés que Rachel ne veut pas accepter. Sa vie en dépend et elle semble prête à en payer le prix. Toby, quant à lui, se retrouve dans la position habituelle des femmes : “Tu joues le rôle de l’épouse”, lui dit son avocate quand il demande comment récupérer la garde exclusive des enfants. Tout est inversé.
Domination masculine et société patriarcale
Dans ses premiers épisodes, Anatomie d’un Divorce ne réussit pas toujours à se placer à la hauteur de son ambition, mais le récit étend peu à peu sa toile pour ausculter les dynamiques de pouvoir et de genre et la manière dont elles sont actuellement reformulées. Il est question de la façon dont les hommes vivent des carrières écrites à l’avance et comment les femmes ne supportent plus l’inégalité. Il est question du malheur en amour, quand le mariage ne fait que mettre les un·es et les autres face à leurs frustrations et limites.
Toby voudrait que rien ne change et vivre un “mariage normal” comme il le formule benoîtement. C’est un type sympa, mais il ne comprend pas ce que cela implique pour Rachel, qui elle, préfère mourir plutôt que de subir ce schéma patriarcal délétère. Mais elle ne s’en rend compte que quand tout est déjà installé. Il s’agit alors de réparer des siècles de domination masculine et d’injonctions en un claquement de doigts. Une vraie tragédie.
Anatomie d’un divorce avec Jesse Eisenberg, Claire Danes, Lizzy Caplan, et Adam Brody. Sur Disney +.
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