“De la dance-music avec une gueule de bois”. Ainsi Joseph Mount décrit l’électro-pop étrange de Metronomy, à la fois mélancolique et déconnante. Une schizophrénie qui va très bien à leurs concerts : ils viendront bientôt défendre leur nouvel album sur la scène du festival Les Inrock IDTGV.
On a souvent demandé aux musiciens ce qui avait été le déclic, l’événement qui faisait qu’un fan passait à l’acte. On a ainsi régulièrement entendu des artistes évoquer le visionnage ému d’un vieux Top Of The Pops de Bowie, la découverte de Nirvana ou une photo des Strokes. Mais aucun, comme Joseph Mount, corps et âme de Metronomy, n’avait encore évoqué le décès de son grand-père. “Sur son testament, il m’a laissé 1 500 euros. J’avais 16 ans, j’étais fan d’electronica, je me suis dit : “cool, je vais m’acheter un ordinateur”. Je n’ai jamais vu un centime. Pour 1 500 euros, mon père m’a revendu son propre ordinateur.”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Entre le jeune Joseph et le Mac, c’est pourtant une histoire d’amour adolescente qui naît alors. Ensemble, ils apprennent la musique, déchiffrent les disques des autres, passent des nuits complices en face à face. Mais Joseph est un amant passionné et, peu à peu, finit par épuiser son ordinateur. “Il a commencé à planter de plus en plus régulièrement, je le savais mourrant, je lui parlais, je l’encourageais : “allez, donne moi encore une chanson”. Et puis un jour, il ne s’est plus allumé… Depuis, à chaque déménagement, je le transbahute, objet inutile dont je n’arrive pas à me séparer. Il sera peut-être collector un jour.”
Il faut dire que Joseph Mount, élevé dans une de ces villes campagnardes propres au grand Ouest anglais, n’avait pas grand monde à qui parler, outre son Mac. Il évoque, des années après, avec un effroi intact, sa passion solitaire –malgré lui – pour la musique. “Je n’avais personne avec qui partager ma passion pour l’electronica… Je tenais ma curiosité de mon père, qui achetait beaucoup de disques – de Laurie Anderson à Devo –, et d’une copine qui, grâce à Björk, était remontée à ses influences, comme Matmos, LFO ou Funkstorung.”
Il était donc écrit que Metronomy serait une histoire de famille : à 15 ans, Joseph Mount n’a alors qu’un fidèle ami – Gabriel Stebbing – et un cousin – Oscar Cash – avec qui échanger des cassettes. L’un et l’autre font aujourd’hui partie de Metronomy. Pour le reste, ses meilleurs amis sont des disques. ”Je n’avais aucune culture, je suis incapable de citer le moindre musicien. Et pourtant, très vite, je me suis rendu compte qu’il existait des ponts entre les gens que j’aimais de manière une peu désordonnée : j’étais estomaqué d’apprendre que Lou Reed, Bowie et Iggy Pop avaient travaillé ensemble, ou que quelques-uns de mes albums de chevet – de Devo aux Talking Heads – étaient produits par ce type, Brian Eno… J’ai ainsi avancé à tâtons, au petit bonheur, à l’oreille…”
Une oreille aguerrie par l’étrange médecine d’une mère qui, désespérée des crises d’asthme de son fils, fournit elle-même en albums-réconforts son fils malade – jusqu’à ce qu’elle trouve le disque miracle, dans une brocante, par le plus grand des hasards. “Elle pensait que la pochette me ferait marrer, par son côté cartoon. C’était Road to Ruin des Ramones ! Je suis tombé amoureux de ce disque et il est devenu mon refuge à chaque crise, plus efficace que la ventoline !”
Gonflé à bloc par la frustration et les envies d’enfin partager avec d’autres sa passion dévorante pour quelques disques, Joseph Mount quitte son Devon à 18 ans, pour étudier la musique en fac dans une des villes les plus vibrantes du pays : Brighton. “En arrivant, j’ai découvert un club, Sabbath, qui passait les meilleurs singles électro ou électroclash… C’est là que pour la première fois, un DJ a passé mes bricolages.” Et ça marche : remixant, à leur insu, des tubes en vogue ou en composant d’étonnantes ritournelles électro-tristes et pourtant sautillantes, Joseph Mount se fait vite un nom en tant que remixeur. Il lui faut un patronyme : ce sera Metronomy, fidèle à sa passion geeky pour les rythmes.
Il s’inscrit à l’ANPE en tant que “producteur de musique”, on lui propose une place de vendeur dans un magasin de disques. Les remixes commencent alors à affluer. Ils financent depuis des années Metronomy et ses concerts : Franz Ferdinand, Klaxons, Sébastien Tellier, Kate Nash, Goldfrapp, Gorillaz ou Charlotte Gainsbourg ont ainsi rapidement étoffé le CV de Joseph Mount, riche aujourd’hui d’une trentaine de remixes (dont un récent pour Lykke Li dont il semble particulièrement fier). “J’ai vraiment de la chance : la musique est à la fois mon métier et mon hobby, ce que je fais quand je ne travaille pas” dit-il en se pinçant, estomaqué qu’on accorde une telle confiance à un musicien « aussi incompétent”. “Je me sens parfois limité, mais c’est assez excitant de créer avec mes contraintes. Ma musique ne serait pas meilleure si j’étais un musicien accompli. Au moins, mon son est personnel.”
Personnel et étrange, car développant des trésors d’inventivité avec des moyens financiers et des capacités musicales que l’on sent précaires. Mais loin de se vautrer dans les délices riquiqui d’une lo-fi lâche, Joseph Mount tente avec ses petits bras, ses petits moyens, des chansons ambitieuses et fortes en ambiance, quitte à parfois se planter comme sur le vilain Radio Ladio. “Là où tout le monde en Angleterre cherche à copier un son américain, je cherche une tonalité très anglaise.”
D’où ce mélange de liesse et de gueule de bois qui fait la force, souvent à l’intérieur de la même chanson, de son second album Nights Out, au titre mûrement affûté. “J’avais un concept en tête pour cet album, un début et une fin avant la moindre chanson… Je voulais raconter nos débuts, quand nous jouions dans des clubs de danse, alors que cette musique était mourante, quand nous nous retrouvions dans des clubs où les gens dansaient automatiquement, comme des zombies… Je me souviens de notre déception, après avoir tellement fantasmé sur cette scène, de voir à quel point la fête était triste, glauque… Cette impression d’allégresse, mais qui sent déjà la gueule de bois. C’est ça, l’ambiance du disque : de la dance-music avec la gueule de bois.”
Le risque, pour un tel maniaque du studio, habitué à triturer les chansons des autres, était d’offrir à ce projet une simple musique de producteur ou pire encore, à la Zero 7, une musique de remixeur – de l’habillage sophistiqué sur du vide. Mais Joseph Mount est autant soundmaker que songwriter, pas assez impressionné par le seul son pour lui laisser la clé de ses albums. “Je ne suis pas le control-freak qu’on décrit : j’aime entendre les erreurs, les doigts qui bougent sur l’instrument. Je suis effrayé par les productions trop cliniques, j’ai beaucoup de méfiance envers les puristes : cette recherche du son parfait se joue forcément au détriment des émotions.”
Et effectivement, comme dans la meilleure musique électronique – on pense à Kraftwerk, New Order ou Daft Punk, et Joseph Mount en rougit de plaisir –, c’est bien à ce point d’équilibre miraculeux entre mécanique et fragilité, robots et humains que claudiquent ces chansons. “J’aime le fait que ces groupes semblent découvrir, apprivoiser humblement leur technologie en même temps qu’ils jouent… On peut entendre leur excitation face aux nouvelles machines et leurs possibilités.” Une dynamique et une tension uniquement réservées aux groupes et à leurs alchimies complexes : en ce sens, Metronomy est un vrai groupe, pas seulement le fantasme, le cobaye de Joseph Mount – et il lui faut parfois écouter les autres. “Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est une démocratie, c’est plutôt ce qu’on appelle en politique une “dictature bienveillante”, où règne un chef, un despote éclairé, pour le bonheur de tous (rires)… Je préfère être seul pour écrire et enregistrer notre musique. C’est plus sain et productif que l’hypocrisie de tant de musiciens. Au moins, quand nous sommes sur scène, nous sommes un vrai groupe, il n’y a pas de frustrations, de non-dits.”
C’est donc bien un groupe soudé, voire une joyeuse troupe quand les danseuses envahissent de manière délicieusement saugrenue la scène, que l’on découvre en concert. Combinaisons noires, lumière pâle sur la poitrine : on est loin ici de la mise en scène fréquente des groupes électroniques, qui ressemblent plus souvent à des réparateurs d’ordinateurs de chez Darty en plein travail qu’à des pop-stars. Une mise en scène aussi sophistiquée d’apparence que lo-fi, à la Michel Gondry, dans la réalisation : les costumes ne sont pas signés par un designer en vue, mais ont été bricolés par le groupe, à partir de t-shirts noirs et de lampes à piles, achetées dans une boutique “tout à une livre” de Brighton.
“Je ne vois pas l’intérêt de faire des concerts élitistes où les musiciens semblent isolés dans une bulle. Je déteste ce snobisme de l’electronica : on m’a par exemple raconté qu’Aphex Twin, au moment de son single Windowlicker, avait refusé de réapprovisionner les magasins, pour que son single ne soit pas n°1 des charts. C’est absurde : pourquoi faire de la musique alors ? Son single aurait pu avoir un retentissement énorme, changer les goûts de gamins… Moi, je ne veux pas choisir mon public. D’où le show : comme ma musique est plutôt triste, il fallait la contrebalancer par ce côté festif et surréaliste. Kraftwerk, Devo, Daft Punk – beaucoup de groupes que j’aime ont des habits de scène.”
C’est pourtant loin des costumes rétro-futuristes et de ces chorégraphies loufoques que pourrait se jouer rapidement le futur de Joseph Mount : après avoir tâté de la production derrière Foals ou chez le rappeur Roots Manuva (une immense fierté pour lui), cette position de metteur en son semble aller comme un gant à ce garçon pas vraiment taillé pour les projecteurs et les paillettes. On le retrouvera ainsi aux manettes de l’album de Box Codax, le groupe solo de Nick McCarthy, guitariste de Franz Ferdinand.
On l’a surtout entendu cet été derrière le fantastique single On My Own Again de The Cocknbullkid, une jeune londonienne originaire du Ghana. A la croisée du R&B et de la pop lo-fi, du spleen et de l’allégresse, de M.I.A. et de Morrissey, il co-signait et produisait un tube dont l’amplitude est assez typique de l’univers imprévisible de Metronomy.
“J’adore me mettre dans la peau d’un autre pour produire avec un regard complètement différent, devenir un autre… Je suis fier de mon groupe, mais ce n’est pas avec Metronomy que je vais gagner ma vie et passer à la radio. Mon rêve, c’est de recevoir un coup de fil de Kanye West me demandant de lui trouver un rythme ou deux”, ricane Joseph Mount. “Ton problème, c’est que tu te comportes comme un gosse, que tu ne veux pas devenir adulte…” dit le single de The Cocknbullkid. Joseph Mount a 16 ans, un Mac d’occasion et des rêves plein la tignasse.
JD Beauvallet
{"type":"Banniere-Basse"}