La première réalisation de Michael B. Jordan n’échappe pas à certaines lourdeurs, mais offre un bel écrin à la révélation Jonathan Majors.
Le premier événement de ce Creed 3 est une absence, celle de Sylvester Stallone, pour la première fois évincé de sa propre création. Née il y a dix ans de la cuisse de Rocky et de l’imagination de deux révélations sundanciennes, Ryan Coogler et son acteur fétiche Michael B. Jordan, la franchise Creed vole désormais sans sa figure mentorale, abandonnée à une désagréable position de hater marginalisé.
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On entendait récemment Sly annoncer qu’il ne verrait pas ce troisième film, et partager des notes préliminaires (pas franchement finaudes : retour en visions d’Adrian défunte, etc.) pour un Rocky 7 qui ne verra sans doute jamais le jour.
Émancipation
On peut certes regretter que le producteur Irwin Winkler prive la franchise d’un finish nanardeux,néanmoins touchant à la Rambo : Last Blood. Reste que l’omniprésence symbolique des pères commençait à devenir un véritable encombrement pour la saga petite sœur, embourbée dans un principe d’éternelle reconduction des vengeances d’hier qui donnait à Creed 2 un goût de réchauffé incongru (refaire le match reaganien de Rocky IV en 2018, pourquoi ?).
Il y a donc une large part d’émancipation filiale dans ce Creed 3 où Michael B. Jordan, interprète, coproducteur et pour la première fois réalisateur, s’invente enfin un récit rien qu’à lui, c’est-à-dire, dans le langage Rocky, un rival sur le ring, un sparring-partner. Damian, copain d’enfance d’Adonis Creed, sort de prison comme on revient d’entre les morts, bien décidé à rattraper le temps perdu au prix de tous les sacrifices – et en réalité, à déposséder Adonis du destin qui aurait dû être le sien.
Jonathan Majors, la révélation
Jonathan Majors, promis justement à un très grand destin (on se demande depuis combien de temps on n’avait vu apparaître à Hollywood un charisme aussi soudain et éclatant – Adam Driver ?) en parallèle d’une position déjà actée d’antagoniste principal de la prochaine décennie Marvel (Kang, le “nouveau Thanos”), offre sa captivante moue d’animal blessé à ce beau personnage de prince déchu revenant des enfers, qui est indéniablement la force principale de ce troisième volet.
À tel point que la véritable rivalité se joue peut-être ici : “contre” (ou indépendamment, disons) le scénario à gros sabots de Ryan et Keenan Coogler, un interprète capable d’imposer par sa pure présence une ambivalence échappant à l’écriture, un parfum de poison vengeur qui est certes le propre du personnage, mais qu’il décale à un degré plus haut et plus étrange que prévu. Damian est un homme qui se sait supérieur et affecte une certaine mélancolie à devoir errer parmi les mortels : Majors l’incarne comme tous les grands acteurs, c’est-à-dire en portant comme un fardeau sa part divine.
Jordan ne démérite pas à la mise en scène et bande les muscles avec des chorégraphies de combat extrêmement lisibles et percussives, limite snyderiennes, qui ressemblent à une carte de visite pour prendre les commandes d’actioners pur jus. Mais il est tout de même la limite de ce film qui bien qu’il revendique très lestement de faire du “langage des corps” son grand enjeu (à travers notamment un personnage de petite fille sourde qui s’exprime en langage des signes et que Jordan fait mine de regarder avec beaucoup d’importance, mais qui n’existe que comme pure fonction du récit), échoue hélas à faire poindre une véritable dramaturgie sur ses combats. Le formalisme à gros bras y prend parfois le dessus sur une tragédie appauvrie, qui a oublié beaucoup de leçons de Stallone – à commencer par la principale, qui est que la plus grande splendeur est celle des perdants.
Creed III de et avec Michael B. Jordan, Jonathan Majors. En salle le 1er mars
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