Autour du héraut de la négritude Léopold Sédar Senghor, le quai Branly rassemble archives visuelles et sonores et œuvres d’art et diffracte l’héritage contesté d’une figure tutélaire, qui aura placé les arts au cœur de la construction de l’identité nationale autant que panafricaine.
Léopold Sédar Senghor (1906-2001) fut poète et président, intellectuel et bâtisseur. La trajectoire du Sénégalais traverse le siècle. Jeune étudiant en lettres à la Sorbonne à Paris dans les années 1920, il s’initie à la culture classique occidentale alors que lui parviennent les échos transatlantiques du mouvement de la Harlem Renaissance aux États-Unis.
Celui qui, à son tour, deviendra l’un des théoriciens francophones de la négritude aux côtés d’Aimé Césaire, sa figure gémellaire, connaîtra la Seconde Guerre mondiale et commencera simultanément à publier ses premiers poèmes. Puis cela sera la décolonisation française, les premières indépendances, avec, dans le même temps, la revue Présences Africaines et les premiers colloques en découlant.
“Un art nouveau pour une nation nouvelle”
Et puis, en août 1960, l’indépendance du Sénégal est proclamée et Senghor élu président de la République. Il rempilera pour quatre mandats jusqu’aux années 1980. Pour lui, la diplomatie culturelle sera un instrument diplomatique de premier plan, “un art nouveau pour une nation nouvelle”, et un outil pour construire d’autres dialogues, d’autres lignes de force, dans l’optique d’un panafricanisme.
Dès 1966, cela sera le Festival mondial des Arts nègres à Dakar, l’ébullition autour des ateliers, l’École des arts ou la Manufacture nationale de tapisserie de Thiès, le Théâtre national Daniel Sorano, jusqu’à l’ultime projet, non réalisé, mais dont hérite l’actuel Musée des civilisations noires ouvert en 2018.
L’exposition au quai Branly fait vivre cette trajectoire dans l’espace, l’agrémente de documents d’archives, d’œuvres plastiques et de voix, de lecture des poèmes et de témoignages de proches ainsi que d’opposants en tension productive avec lui.
Autant dire que l’ambition de ce panorama, organisé en six chapitres, est gargantuesque, puisque plutôt qu’une biographie exposée, il s’agit également de soulever des questions qui résonnent plus largement avec sa postérité et la manière dont sa pensée résonne avec les lignes de force actuelles : à commencer par cet “universalisme réinventé”, soit désoccidentalisé, l’autre fil conducteur du parcours.
L’humanisme et les dissidences, questions ouvertes
Ce point rejoint la question des dissidences, abordées au sein de la cinquième partie, celle également qui propulse la proposition dans la réflexion actuelle : d’une certaine manière, explique Mamadou Dioud, co-commissaire de l’exposition et professeur d’études africaines et d’histoire à l’université de Columbia à New York, Senghor aura intégré les oppositions à sa vision humaniste, où restent centrales les cultures intellectuelles européennes grecques et latines, le français comme langue également.
On en retient une figure ambiguë à l’aune de laquelle reformuler, rétrospectivement, les questions de fonctionnalisation des artistes à l’intérieur d’une planification d’État, du contexte d’élargissement des cadres plutôt que de sécession ou de pluralisation, posée à l’intérieur d’un musée dédié à l’exposition d’objets, d’œuvres et de cultures historiquement dominées par les puissances coloniales.
Senghor et les arts. Réinventer l’universel, jusqu’au 19 novembre au musée du quai Branly – Jacques Chirac à Paris.