“Une journée inutile” de Janine Brégeon invite à réfléchir à l’inaction comme acte de résistance.
Janine Brégeon. C’est un nom que l’histoire littéraire n’a pas retenu. Pourtant, il apparaît au détour d’une conversation entre Annie Ernaux et Rose-Marie Lagrave (à paraître aux éditions de L’EHESS le 3 mars), parce qu’il semble avoir été l’emblème romanesque d’une époque (les années 1970) et d’une génération de femmes qui, telles Ernaux et Lagrave, s’émancipaient en choisissant la voie de la rupture (divorce, indépendance, adhésion au MLF ou autre organisation féministe…).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Les deux femmes se souviennent de Janine Brégeon et de son texte phare, Une journée inutile (paru en 1966 chez Gallimard). Brégeon imagine une journée en effet “inutile”, c’est-à-dire une journée dans la vie d’une femme qui déciderait de ne pas être “utile” à sa famille – de ne pas remplir son “rôle” de femme. Une femme se réveille un matin et décide qu’elle passera la journée au lit. Elle ne se lavera pas, ne s’occupera pas des enfants ni de son mari, ne fera pas la vaisselle, ne rangera pas, ne cuisinera pas, ne fera pas les courses. En refusant d’être utile, elle refuse d’être utilisée.
Une journée inutile a été publié un an avant L’Homme qui dort de Georges Perec. Un livre un peu dans la même idée, transgressive, révolutionnaire même, qu’il suffit de refuser toute action et de rester dans son lit pour contester un système, érigeant l’extraction d’un soi productif en acte de résistance. La soustraction de soi comme acte révolutionnaire. Cette femme qui décide de rester au lit, cet homme qui décide d’y retourner, ont deux ancêtres célèbres : le Bartleby de Melville, et Oblomov de Gontcharov. Le refus de travailler de l’un, l’apathie de l’autre absorbé par son divan, nous rappellent qu’on peut aussi “préférer ne pas”. Ne plus vouloir participer. Un simple retrait, et la machine peut s’enrayer, l’ordre être remis en question. Cela laisse rêveur… Et si, pour nous opposer à la réforme des retraites, par exemple, nous décidions de tous·tes rester au lit ?
Édito initialement paru dans la newsletter Livres du 23 février. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
{"type":"Banniere-Basse"}