La stérilisation contraceptive est une procédure légale depuis plus de 20 ans et pourtant, les femmes qui souhaitent y avoir recours se heurtent encore toujours aujourd’hui à un véritable parcours de la combattante. C’est ce que raconte la journaliste santé Laurène Lévy dans un essai très bien documenté, “Mes trompes, mon choix!”. Entretien.
Parmi toutes les méthodes de contraception auxquelles les femmes peuvent prétendre, il y en a une dont on entend rarement parler: la stérilisation contraceptive, légale depuis la loi du 4 juillet 2001, reste en effet profondément taboue. Et nombreux sont les obstacles rencontrés par celles qui souhaitent avoir accès à cette contraception définitive. Refus des médecins de pratiquer cet acte chirurgical, infantilisation, culpabilisation et stigmatisation: voici une liste non exhaustive des difficultés auxquelles sont confrontées les femmes qui ne souhaitent pas avoir d’enfant ou n’en souhaitent plus. C’est précisément le sujet de Mes trompes, mon choix!, l’excellent essai, complet et très bien documenté, de la journaliste spécialisée en santé Laurène Levy.
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La trentenaire fait un état des lieux de la stérilisation, s’attarde sur le long parcours juridique qui finira par aboutir à la légalisation de cette procédure en France et la lourde histoire -internationale- qui lui est attachée avec le scandale des stérilisations forcées, des crimes eugénistes de l’Allemagne nazie à la politique de l’enfant unique en Chine en passant par les stérilisations imposées aux autochtones canadiennes. Laurène Levy revient également sur la culture nataliste française encore très ancrée dans les mentalités et les injonctions à la maternité qui pèsent sur les femmes et font de la stérilisation contraceptive un véritable parcours de la combattante.
Qu’est-ce qui vous a poussée à vous intéresser à ce sujet?
Je m’y suis intéressée car j’ai travaillé sur les violences obstétricales et gynécologiques lors d’un mémoire de fin d‘études en Master et parmi ces violences, il y a ce refus de la stérilisation contraceptive. En parallèle, c’est une méthode de contraception qui m’intéressait à titre personnel et j’étais inquiète car j’avais le sentiment que c’était difficile d’accès. J’ai fait des recherches et je n’ai pas trouvé beaucoup de ressources et comme j’avais envie d’en savoir davantage, j’ai décidé de me retrousser les manches et de creuser ce sujet.
Que dit aujourd’hui la loi au sujet de la stérilisation contraceptive?
La loi autorise la stérilisation contraceptive à toutes les personnes majeures et consentantes, que vous soyez un homme, une femme, que vous ayez des enfants ou non. Il y a d’abord un premier rendez-vous avec un·e médecin qui vous remet un livret informatif avec tous les tenants et les aboutissants de cette méthode contraceptive, et vous explique qu’elle est irréversible. Vous signez ensuite un document actant que vous avez ces informations. Commence alors un délai de réflexion de quatre mois minimum -ça peut aussi être plus long si vous en ressentez le besoin- et vous retournez voir ce médecin à la fin de ce délai pour confirmer votre choix. À partir de là, il est possible de se rapprocher d’un hôpital ou d’une clinique disposant d’un service de chirurgie gynécologique et de prévoir une date pour la procédure. Pour les femmes, l’opération a lieu par coelioscopie, il y a une anesthésie générale, elles rentrent le matin et ressortent le soir. Pour les hommes, c’est plus rapide, ça peut se faire sous anesthésie locale et ça dure une demi-journée.
Près de 20 ans après l’entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2011 sur la stérilisation, comment se passe son application?
La pratique est plus compliquée que la théorie: beaucoup de médecins essaient de dissuader les femmes, particulièrement celles qui sont jeunes et qui n’ont jamais eu d’enfant, et de les orienter vers d’autres méthodes. Elles peuvent, de cette façon, errer de médecin en médecin en s’entendant dire qu’elles ne savent pas ce qu’elles veulent, qu’elles sont inconscientes et ça peut durer des mois, voire même des années. Cette errance médicale peut bien sûr décourager ces femmes et même les faire douter. Ce discours paternaliste existe encore beaucoup et, s’il y a des médecins bienveillant·es et ouvert·es à la discussion, ça ne semble pas refléter la majorité des situations d’après les témoignages qu’on peut lire ici et là.
Quelles sont les principales raisons qui expliquent la frilosité des gynécologues à stériliser les femmes à des fins contraceptives?
Il y a d’abord la politique nataliste de la France depuis la fin du XIXème siècle, qui reste encore très ancrée dans les mentalités. Pour beaucoup de gens, ne pas faire d’enfants est une aberration. Puis on a encore en tête que la stérilisation est une mutilation du corps, notamment du corps féminin qui est censé porter la vie et offrir des enfants à la nation. Enfin, il y a encore ce paternalisme médical que j’évoquais plus haut: il infantilise les femmes et tend à considérer qu’elles doivent être encadrées et n’ont pas 100% de leurs capacités mentales pour prendre une décision comme celle-ci. C’est la grande différence avec les hommes: jamais ils ne s’entendront dire qu’ils ne savent pas ce qu’ils font lorsqu’ils demandent une vasectomie.
Quelles sont les conséquences de cette culture nataliste française?
Pendant des siècles, la société a mis tout en oeuvre pour favoriser les naissances, à coup d’aides de l’État, en diffusant une culture de la famille et de la maternité qui associe les femmes aux mères. Une femme ne serait pas pleinement femme sans devenir mère. La société a instauré cette idée dans laquelle nous baignons encore aujourd’hui et de laquelle nous avons du mal à nous détacher. Pourtant, la démographie n’est pas en danger, nous sommes encore dans les pays les plus féconds d’Europe. Malgré tout, il existe une culpabilisation des femmes qui n’ont pas d’enfant et qui veulent être stérilisées. On leur oppose souvent qu’elles devraient penser à toutes celles qui en veulent mais qui n’y arrivent pas et c’est, bien sûr, un argument qui n’a aucun sens.
Le soi-disant risque de regret est également un argument souvent avancé, que disent les chiffres à ce sujet?
Il y a eu quelques études et chez les femmes stérilisées, ce sont entre 4 et 7% d’entre elles qui regrettent d’avoir eu recours à cette procédure. Ce n’est donc pas un pourcentage assez élevé pour que cet argument soit systématiquement avancé pour leur refuser cette méthode de contraception. Et puis, les femmes enceintes ou qui veulent un enfant se s’entendent jamais dire qu’elles vont le regretter alors que c’est tout aussi irréversible qu’une stérilisation. On commence d’ailleurs à entendre parler du regret maternel et il est tout aussi tabou que la stérilisation contraceptive.
La vasectomie est-elle aussi difficile d’accès que la stérilisation?
Apparemment pas. On n’a pas de chiffres officiels mais lorsqu’on voit les témoignages, les hommes disent qu’ils sont allés chez leur médecin, qu’ils ont attendu quatre mois -le délai légal- et qu’ils ont eu leur vasectomie. La loi est appliquée, ni plus, ni moins. D’ailleurs, ces dernières années, le nombre de vasectomies est en hausse et on peut imaginer que c’est lié au fait que, pour les couples hétérosexuels qui souhaitent opter pour la contraception définitive, il est plus difficile pour les femmes d’y avoir accès, donc ce sont les hommes qui le font.
Pourquoi les médecins ont-ils le droit de refuser de pratiquer cet acte?
Les médecins ont une clause de conscience, c’est la même que pour l’IVG. S’il·elles jugent la stérilisation contraire à leur éthique ou à leur conviction, il·elles doivent en avertir leur·s patient·es lors de la première consultation et les rediriger vers un confrère ou une consoeur. Dans les faits, ça ne se passe pas souvent comme ça et c’est encore un obstacle supplémentaire pour l’accès à la stérilisation.
Quels peurs réveille, dans notre société, une femme qui ne souhaite pas d’enfant?
Elle réveille plusieurs peurs, d’abord celle de l’extinction de l’espèce humaine, comme si ça allait être la fin du monde mais aussi celle d’une femme sexuellement libérée: une femme stérilisée ne serait plus “tempérée” par ses grossesses et sa maternité et aurait une sexualité à tout va, comme celle des hommes… Enfin, elle réveille aussi la peur que les femmes prennent le pouvoir dans des sphères jusqu’ici réservées aux hommes, qu’elles accèdent à des postes importants car elles n’ont pas à s’occuper de leurs enfants.
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