En Angleterre, l’éditeur de Roald Dahl vient d’introduire des changements drastiques dans ses romans pour enfants pour plaire à une époque woke. De Salman Rushdie à Rishi Sunak, les indignations pleuvent.
Même le Premier ministre anglais s’en est mêlé. Ce 20 février, Rishi Sunak s’est exprimé contre les changements apportés à l’œuvre de Roald Dahl via une déclaration de son porte-parole : “Nous ne devrions pas ‘gobblefunk’ (un terme issu d’un livre de Dahl, ndlr.) autour des mots. Je pense qu’il est important que les œuvres de littérature et les œuvres de fiction soient protégées et non retouchées. Nous avons toujours défendu le droit à la liberté de parole et d’expression.”
De la BBC au Guardian en passant par le Times, le débat le plus virulent qui ait eu lieu depuis longtemps dans le domaine littéraire porte sur la nouvelle édition des romans pour enfants de l’auteur de Charlie et la Chocolaterie. Des centaines de changements, coupes et réécritures ont été opérés afin que les enfants d’aujourd’hui “puissent continuer à le lire en s’émerveillant”, a défendu Puffin Books, la branche de littérature enfantine de Penguin.
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Un écrivain déjà sujet à polémiques
Il est vrai que l’écrivain fait depuis longtemps office de patate chaude pour les Anglais·es, notamment à cause de ses propos racistes et antisémites tenus lors de ses interviews. Nombreux·euses sont celles et ceux qui aimeraient le voir passer à la trappe, comme le déclarait l’auteur pour enfants Philip Pullman sur la BBC. Sauf que ses romans, devenus de véritables classiques de la littérature enfantine et adolescente, continuent à se vendre comme des petits pains.
Si la BBC a rappelé que Dahl avait déjà accepté de son vivant, dans les années 1970 (il est mort en 1990), que des changements soient apportés à ses textes concernant la couleur de peau des travailleurs dans la chocolaterie de Charlie, à l’origine noirs et esclaves et devenus blancs et employés, ceux qui viennent d’être effectués maintenant par Puffin, avec l’accord des ayants droit de Dahl, sont sans précédent. Ils ont été dictés par une société à laquelle a fait appel la maison d’édition, Inclusive Minds.
Ce n’est pas la première fois. De plus en plus de maisons d’édition anglaises font appel à ce type de relecteur·ices “woke” pour passer au crible anciens et nouveaux textes et les rendre plus qu’irréprochables, c’est-à-dire éliminer l’ombre de la moindre allusion qui pourrait ensuite leur être reprochée. Les derniers changements apportés aux romans de Dahl portent ainsi sur l’apparence physique des personnages, leur poids, la couleur de leur peau et leur genre, sauf qu’ils vont aussi beaucoup plus loin, voire trop loin.
Le célèbre personnage de Matilda, dans son roman éponyme, ne lit soudain plus Rudyard Kipling – un écrivain masculin blanc étroitement associé aux faits de l’Empire britannique – mais Jane Austen. Bref, il ne s’agit plus d’un débat autour d’un seul terme, comme ce fut le cas autour du mot “nigger” utilisé dans des œuvres du passé, chez Mark Twain par exemple, mais d’une réécriture abusive des textes d’un écrivain mort.
Des enjeux nombreux
Un cas pur et simple de censure ? C’est ainsi que Salman Rushdie a résumé toute l’affaire en s’insurgeant sur Twitter : “Roald Dahl n’était pas un ange mais il s’agit ici d’un cas de censure absurde. Puffin Books et les ayants droit de Dahl devraient avoir honte.” Si l’on peut s’indigner que des méthodes de censure de textes, habituellement utilisées par des régimes dictatoriaux, communistes ou fascistes, soient reprises au nom de valeurs de gauche par des éditeurs prétendant vouloir agir au nom du bien, il faut peut-être aller plus loin pour mesurer à quel point il s’agit de commerce plus que de bien-pensance.
Aux États-Unis et en Angleterre, Twitter est devenu un instrument puissant de l’expression populiste, capable de déclencher haine et boycott à l’égard de certain·es, montré·es du doigt. C’est ce que redoutent les maisons d’édition anglaises, comme le démontrait le cas de l’autrice Kate Clanchy, virée de sa maison d’édition Picador à la suite d’une cabale lancée contre elle sur Twitter, l’accusant d’être raciste et exigeant que son livre soit censuré.
Et puis en 2021, Netflix achetait les droits de l’intégralité des œuvres de Roald Dahl pour 500 millions de dollars. Un peu cher pour prendre le risque de voir des livres attaqués par une poignée de “wokes” sur les réseaux sociaux, ou encore pris dans la tourmente des polémiques actuelles. Une somme, de plus, suffisante pour que les ayants droit ferment les yeux sur toute forme de réécriture.
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