La star de « Quai des brumes » disparait à l’âge de 96 ans. Elle s’était éloignée du cinéma depuis déjà presqu’un demi-siècle.
Elle était née un 29 février et ne fêtait donc son anniversaire que tous les quatre ans. Invitée sur le canapé de Michel Drucker le 29 fevrier 1976, elle pouvait dire sans mentir, avec une coquetterie charmante, que, bien que déjà quinquagénaire, elle célébrait seulement son 14eme anniversaire. A ce compte-là, le 29 février dernier, elle fêtait le 24eme. Agée néanmoins de plus de 96 ans, elle disparait avant d’atteindre en 2020, prochaine année bisextile, ses 100 ans et son 25eme anniversaire.
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Marcel Carné fait d’elle une star
Michèle Morgan a tout accompli précocement. A quinze ans, elle tourne son premier film, Mademoiselle Mozart. La star en est Danielle Darrieux, son ainée de seulement trois ans et teen star absolue de la France des années 30. Michèle, encore créditée Simone Morgan au générique, n’est que figurante. Elle parvient pourtant à se coller dos à dos lors d’une scène de club avec la star du film. Elle ne cessera désormais de talonner Darrieux, pour devenir sa plus grande rivale. Deux ans plus tard, Gribouille de Marc Allegret, avec Raimu pour partenaire, fait d’elle une vedette. Et l’année suivante, Quai des brumes la propulse star.
Le film de Marcel Carné fixe toute la mythologique Morgan, sorte de French Garbo un peu altière : visage souvent impassible, teint d’albatre, allure toujours tirée à quatre épingle (le ciré noir sanglé de Quai des brumes et le feutre mou porté sur le côté tronent dans le vestiaire mythologique de l’histoire du cinéma nationale). Mais ce sont évidemment ses yeux, bleux très clairs, qui foudroient le public, et dont les dialogues du film, signés Jacques Prévert, cisellent la légende. Gabin : « T’as de beaux yeux, tu sais? ». Morgan : « Embrasse moi ». Copié, parodié, rediffusé en extrait jusqu’à satiété, la séquence est devenu un meme avant qu’internet ne les invente.
Star très jeune, Morgan fera aussi une très jeune retraitée. Elle s’éloigne des plateaux à la fin des années 60. En 1975, Claude Lelouch lui permet d’effectuer un come-back à succès dans la comédie policière Le chat et la souris. Mais le retour est sans lendemain : elle ne fera plus que des figurations amicales (dans deux autres Lelouch) et un micro-rôle face à Marcello Masteoianni dans le très faible Ils vont tous bien! de Giuseppe Tornatore. Cette retraite cinématographique ne signifie pas pour autant une cessation totale d’activités : des années 70 à la fin des années 90, on la retrouve occasionnellement au théatre ou dans des téléfilms ou séries télévisées.
Un exil à Hollywood
Sa carrière n’est donc pas si profuse, et ne comprend d’ailleurs pas tant de grands films. Elle s’exile à Hollywood durant le Seconde Guerre mondiale, mais ne parvient pas complètement à y prolonger son statut de star. Passage pour Marseille, sous la direction de Michael Curtiz avec l’essentiel du casting de Casablanca (Humphrey Bogart, Claude Rains, Peter Lorre) est son film américain le plus notable (Curtiz l’aurait d’ailleurs aussi envisagé pour le rôle féminin principal de Casablanca, mais pour des raisons de production, son choix se serait finalement porté sur Ingrid Bergman).
L’immense succès public de La symphonie pastorale de Jean Delannoy dans l’immédiat après-guerre, où son rôle de jeune aveugle lui vaut le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes, la rétablit en revanche comme immense vedette hexagonale, statut qu’elle conserve jusqu’à l’orée des années 60 sous la direction d’Yves Allegret (Les orgueilleux, avec Gerard Philippe), René Clair (Les grandes manoeuvres, avec le même partenaire), René Clément (Le chateau de verre, avec Jean Marais) ou André Cayatte (Le miroir à deux faces, avec Bourvil – film sur lequel elle a aussi pour partenaire le futur cinéaste Gérard Oury, qui sera son compagnon jusqu’à la disparition de ce dernier). Des cinéastes de la Nouvelle Vague, seul Claude Chabrol lui offrira un rôle, dans Landru où elle incarne une des victimes de l’assassin interprété par Charles Denner.
Le cinéaste qui aura le mieux su jouer de sa beauté un peu glaciale est Jean Grémillon, dans deux très beaux films séparés d’une dizaine d’années. Dans le premier, Remorques (1940), elle est le grand amour adultère d’un marin pêcheur joué par Jean Gabin. Dans le second, L’étrange madame X, elle est une grande bourgeoise malheureuse dans son mariage qui se fait passer pour une femme de chambre pour vivre hors des barrières sociales une idylle avec un jeune prolo (Henri Vidal, également son compagnon de l’époque dans la vie). Deux mélodrames intenses, où son jeu un peu hiératique et distant dispensait un mystère subtil.
En 1977, elle publie ses mémoires, intitulées emblématiquement Avec ces yeux-là.
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