Un petit loup et un faon perdus cherchent ensemble leur chemin à travers un monde enneigé dans le jeu plastiquement saisissant du studio nantais Casus Ludi.
C’est presque devenu un genre à part entière : le voyage d’un animal, un chat (Stray), un renard seul (Spirit of the North) ou accompagné de sa famille (Endling: Extinction is Forever), un singe (Gibbon: Beyond the Trees) ou un lynx (Shelter 2), qui traverse un monde tantôt indifférent, tantôt hostile en restant généralement à distance de la société humaine. Dans Blanc, un duo inattendu part à l’aventure : un faon et un louveteau, pas exactement des alliés naturels, qu’une tempête de neige a séparés de leurs familles respectives. Du moins, c’est ce qu’on comprend de l’introduction de ce jeu dans lequel aucun mot n’est prononcé.
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Contours vibrants
Le premier signe distinctif de Blanc, c’est son esthétique. Aussi loin du photoréalisme que de la surcharge décorative, l’œuvre du petit studio nantais Casus Ludi ne connaît que le noir et, donc, le blanc, les textures griffonnées et les contours vibrants. Sa vérité est celle du dessin animé, à entendre de la manière la plus littérale qui soit : des formes nées de quelques coups de crayon prennent vie grâce au mouvement. Ce pourrait n’être qu’une coquetterie, qu’un moyen de se distinguer dans l’océan du jeu indé. C’est plutôt une manière d’afficher la couleur (si l’on ose dire) : ici règne l’impression, l’idée, dans un rapport moins au réel qu’à l’intériorité d’où découle une troublante fragilité.
Blanc, d’ailleurs, est un jeu auquel il arrive de trébucher. La faute à quelques bugs et à des moyens restreints qui ont probablement contraint ses auteur·rices à faire des compromis. Sa caméra devient parfois un peu folle et les limites de ce qu’il nous est possible de faire paraissent un peu arbitraires. Mais, à l’image de ses frêles mais intrépides randonneurs dans l’adversité, il en faudrait plus pour le briser.
Épopée symbolique
Sa grande affaire, dans le sillage du phénomène It Takes Two, c’est la coopération, y compris avec soi-même si on ne trouve personne, à domicile ou en ligne, pour tenir la deuxième manette. Car tout repose sur l’entente entre le jeune chevreuil et le petit loup : ils s’associent pour déplacer une caisse ou ouvrir une porte, l’un·e monte sur le dos de l’autre afin d’atteindre une hauteur supérieure… Blanc se contrôle d’ailleurs très simplement, avec un stick directionnel et deux gâchettes par animal, ce qui rend effectivement possible de diriger les deux tout seul (même si on oublie souvent quelle main est dédiée à qui, avec pour conséquence des trajectoires assez incertaines).
Plus que comme un parcours initiatique, Blanc apparaît comme une épopée symbolique dans laquelle la crainte autant que la ferveur naissent du fait de ne pas se trouver à sa place et dans son rôle supposé – avec ses semblables, en terrain familier. C’est aussi un jeu qui, par son côté dépouillé même, excelle à faire naître l’événement : on arrive en territoire humain, on rencontre une mère cane avec sa portée puis un duo de chèvres bondissantes. Ou l’inverse : étirer le temps alors qu’on progresse simplement en laissant des traces dans la neige. C’est un conte en sourdine, une rêverie lente. Une parenthèse étincelante.
Blanc (Casus Ludi/Gearbox Publishing), sur Switch et Windows, environ 15 €.
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