Violente mais pas inconséquente, cette création anglaise tente le mariage entre télé et comics.
Malgré les bonnes nouvelles récentes concernant les séries françaises, une piqûre de rappel ne fait pas de mal. Que ce soit au nord de l’Europe (Danemark, Suède) ou de l’autre côté de la Manche, les concurrents non américains ont déjà pris une avance que l’Hexagone ne fait que grignoter. Ce n’est pas une série réussie comme Les Revenants qu’ils proposent chaque année, mais plusieurs à la suite. Après The Killing ou Borgen, on verra au mois d’avril sur Arte à quel point le problème du manque de moyens n’est pas toujours rédhibitoire, grâce à l’incroyable série de robots suédoise Real Humans. Concernant l’Angleterre, le choix est encore plus vaste, tant la production y est variée. Mais depuis le coup de force Top Boy, qui auscultait la vie des ghettos avec beaucoup d’ambition fin 2011, aucune série british n’a produit autant d’effet que la toute fraîche Utopia, dont les six épisodes ont été diffusés sur Channel 4 aux mois de janvier et février.
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« Pourquoi êtes-vous si bizarre ? », demande une brune à un jeune homme dans le deuxième épisode. On pourrait lui retourner la question, puis la poser à la plupart des protagonistes, voire à la série elle-même. Prenons l’entrée en matière. Pendant ses soixante premières minutes, Utopia sème ses petits cailloux sans indiquer au spectateur la trace d’un quelconque chemin. Un complot semble se dessiner. On croise des tueurs implacables à la solde d’une organisation. Des fans d’un roman graphique culte se réunissent car l’un d’eux a mis la main sur le deuxième tome jamais paru. On finit par comprendre que les premiers recherchent les seconds, histoire de récupérer et sans doute d’utiliser à mauvais escient le fameux manuscrit – il met en jeu rien moins que la pérennité de l’espèce humaine.
Une conspiration à grande échelle mêlée à des héros malgré eux ? Le premier qui pense à Heroes (Tim Kring, 2006-2010) a raison et tort en même temps. Comme sa grande soeur américaine, les super-pouvoirs en moins, Utopia organise les fiançailles de l’univers des comics et de la série télé. Mais elle le fait très différemment, notamment dans l’approche de la violence.
Son créateur Dennis Kelly est un dramaturge quadra marqué par des figures du théâtre contemporain comme Sarah Kane. Il impose un ton déstabilisant. Le sang gicle à foison, une atmosphère de terreur enfantine s’installe, laissant spectateurs et personnages dans le dénuement, avant qu’un trait d’humour ou un shoot de vie normale ne viennent offrir un peu d’oxygène. L’humour n’est jamais appliqué à la situation horrifique elle-même, ce qui le sauve de la complaisance, mais pas de l’étrangeté.
Balançant à grande vitesse entre distance et frontalité, Utopia trouve une modernité immédiate dans le ton et une vraie maturité. La conspiration au centre du récit est traitée narrativement pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une boîte de Pandore fictionnelle, une machine à balayer un imaginaire toujours aux limites de la folie. Traqués par un ennemi qu’ils connaissent de mieux en mieux, les héros grandissent à vue d’oeil. Leur prise de conscience de la violence du monde est assez captivante.
Reste tout de même la question formelle. Visuellement, la série est magnifique – plans ajustés, couleurs qui claquent et refus du réalisme social. Mais la beauté des plans ne se confond pas toujours avec celle de la mise en scène. La magnificence confine parfois au lustre décoratif un peu étouffant. Un défaut qui force à se poser des questions, avant que nos doutes ne soient régulièrement balayés par un nouveau tour de force. Telle est la vie du spectateur devant les bonnes séries : même branché sur courant alternatif, il ne peut jamais fuir.
Utopia Sur Channel 4
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