Annoncé en grande pompe lors de la conférence de rentrée d’Apple, le tout premier jeu Mario pour mobiles et tablettes vient de sortir. Alors que son prix (9,99€) et son gameplay simplifié (pour interagir, un doigt suffit) divisent les fans du plus célèbre plombier de l’univers, l’expérience « Super Mario Run » mérite pourtant d’être tentée.
Avec dix jours d’avance sur l’anniversaire de son prédécesseur d’environ deux millénaires, le messie est arrivé sur l’App Store d’Apple en ce jeudi 15 décembre de l’an 2016. Lui n’est pas charpentier mais, d’après sa bio officielle, plombier, et par ailleurs sauveteur à répétition de princesses qui ne font rien qu’à se faire enlever par des tortues géantes toutes moches. Mais cette fois, c’est d’abord à la rescousse du business légèrement tanguant de la maison Nintendo que s’élance l’ami Mario en venant draguer joyeusement les possesseurs d’iPhone et d’iPad en attendant, dans quelques mois, de passer aux adeptes de l’autre grande secte mobile, celle d’Android. Attendu fébrilement depuis le matin par certains pour ne finalement apparaître qu’à 19 heures, heure française, Super Mario Run est cette fois bien là, avec ses 24 niveaux à peu près classiques et sa multitude de défis qui, selon les penchants de chacun, occuperont ses acquéreurs pendant quelques heures ou quelques mois. Et son obligation, étrange pour un jeu mobile, de rester connecté à Internet pour pouvoir jouer – adieu, parties dans l’avion ou le métro.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« L’arnaque du siècle. » Dans les heures qui ont suivi sa sortie, certains n’avaient pas de mots assez durs pour qualifier sur les réseaux sociaux ce qui constitue pour eux un terrible scandale : Super Mario Run coûte de l’argent. 9,99€, exactement, pour poursuivre l’aventure au-delà des trois premiers niveaux disponibles gratuitement. A défaut de juger du rapport qualité-prix du jeu – à chaque possesseur de mobile à 600€ de décider ce qu’il veut faire de son argent –, on notera juste que si ce tarif est effectivement assez inhabituel pour un jeu vendu sur l’App Store, royaume du dumping commercial et de la fausse gratuité, ce que propose en termes de contenu Super Mario Run ne semble pas particulièrement choquant au regard d’autres « produits culturels » au prix d’achat comparable comme un manga, un album de musique ou une place de cinéma. Pourtant, en un sens, il y a bien une « arnaque » ou, plus exactement, un impressionnant tour de prestidigitation, car ce Mario n’est pas tout à fait ce qu’il donne l’impression d’être.
Son titre n’en fait pas mystère, Super Mario Run est un « runner », soit un jeu dont le personnage se déplace automatiquement comme dans Canabalt, Temple Run et beaucoup d’autres titres mobiles, le joueur se contentant de faire sauter (plus ou moins haut et longtemps) son petit héros en touchant l’écran d’un doigt. Ne pas s’attendre, donc, à pouvoir reparcourir à volonté les niveaux en quête de ces secrets qui abondent habituellement dans les jeux Mario. Une fois que notre plombier est passé, pas moyen de revenir en arrière vers ce passage que l’on a aperçu trop tard. Pour l’emprunter, il sera nécessaire recommencer le niveau, ce que le jeu encourage d’ailleurs chaudement à faire – on observe, on apprend la géographie des lieux, l’emplacement des pièges et des trésors et, si tout se passe bien, on progresse à chaque tentative.
Super Mario Run est donc un runner, mais tout est fait pour donner le sentiment au joueur qu’il s’adonne à un « vrai » jeu Mario, et pas seulement parce qu’il reprend largement l’esthétique des New Super Mario Bros. L’un des éléments clés est la présence, au sol des niveaux, de blocs qui stoppent la course du personnage, lui permettant de planifier ses mouvements suivants. Briser la continuité du mouvement pour ensuite (tenter de) la retrouver : telle est la logique de Super Mario Run qui n’entend pas seulement reproduire le flow du speedrunning (une influence revendiquée par Shigeru Miyamoto, le père du moustachu plus impliqué, dit-on, dans ce Mario que dans aucun autre depuis 2007) mais, aussi, à travailler sur la pause, la temporisation et l’observation qui sont des dimensions essentielles de la série sur consoles. Par moments, on en oublierait presque qu’on ne dirige pas vraiment Mario.
C’est la grande réussite mais, aussi, sans doute, la limite de Super Mario Run qui, malgré son insistance sur la verticalité (en raison de l’orientation de l’écran du mobile), n’emmène pas vraiment la saga sur des rivages différents. Lorsqu’en 2012, sous la houlette du studio parisien Pastagames, le rival Rayman s’était essayé au genre avec Rayman Jungle Run, cela avait été une révélation. On retrouvera d’ailleurs des traces de ses expérimentations (sur la vitesse et la dimension rythmique du jeu de plateforme, notamment) dans l’épisode pour consoles paru l’année suivante, Rayman Legends. On imagine difficilement voir se produire le même phénomène avec Super Mario Run, dont la fonction de cheval de Troie (faire revenir Mario dans la vie des gens via leurs appareils mobiles pour les attirer vers les consoles Nintendo, dont la future Switch qui aura elle aussi son Mario) est plus ou moins avouée par les responsables de la société japonaise.
Si un jeu vidéo est une simulation, Super Mario Run est une simulation de simulation, un simulacre au carré – un Mario presque pour de faux. Dans d’autres formes d’art, ce pourrait être un film de cinéma recadré pour son passage à la télé ou une toile de maître imprimée sur une carte postale. Il n’y a bien évidemment d’horrible à ça. On est même tout à fait en droit de préférer le petit écran ou la carte postale aux œuvres dans leur forme originale – parce qu’on y accède plus facilement, parce qu’on y discerne mieux les détails, parce qu’on peut vivre avec. Super Mario Run, c’est un peu ça : une reproduction de Mario, qui ne se substitue pas à l’original mais l’évoque subtilement, le rappelle à notre (bon) souvenir. Et aide à mieux le voir, le comprendre, l’aimer.
Super Mario Run (Nintendo), sur iPhone et iPad, 9,99€
{"type":"Banniere-Basse"}