La dessinatrice Kate Beaton expose et exorcise les violences sexuelles dont elle a été la victime dans un récit au cœur des sables bitumineux canadiens.
Ce sont seulement quatre cases noires. Mais celles-ci, on le comprend vite, symbolisent la violence sexuelle subie par l’autrice dans sa vingtaine. Quelques pages plus loin, c’est un autre viol, et on la voit cette fois représentée suppliant son bourreau avant que, face à la pression exercée par celui-ci, elle se dessine sortant de son corps pour attendre sur une plage que son violeur en ait fini.
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La lecture d’Environnement toxique bouscule, bouleverse et révolte, à mesure que l’on entrevoit comment un milieu terriblement masculin – celui de l’exploitation des sables bitumineux au Canada – opprime et agresse ses rares employées.
Si ce roman graphique – cité par Barack Obama dans la liste annuelle de ses meilleures lectures de 2022 – se révèle aussi remarquable, c’est parce que Beaton, le trait faussement naïf et le bleu comme couleur dominante, pratique l’autobiographie avec une maîtrise du tempo, du décor et de la distribution.
En plus des agissements dont elle parle peu, elle appuie la répétition des comportements inappropriés
Elle provoque des émotions fortes en mettant son écriture sensible au service de sa catharsis et donne aussi chair aux autres, celles et ceux qu’elle a croisé·es, qui n’ont rien vu, ou n’ont rien voulu voir. De manière méthodique, elle introduit ainsi chaque chapitre avec un trombinoscope des personnages que l’on y croisera et prend le temps de reconstituer avec précision la vie aliénante ayant cours dans les camps de travailleur·ses temporaires qu’elle a connus.
Elle montre aussi par quels mécanismes des jeunes femmes comme elle – diplômée en anthropologie – doivent vite gagner de l’argent pour rembourser leur prêt étudiant et ainsi prendre le risque d’intégrer un milieu sexiste et sévèrement toxique. En plus des agissements dont elle parle peu – dans la postface, elle dit connaître seulement l’identité d’un des deux hommes –, elle appuie la répétition des comportements inappropriés. En même temps, elle témoigne de la tendresse pour certains de ses collègues perdus et menacés par la maladie mentale.
Environnement toxique de Kate Beaton (Casterman), traduit de l’anglais (Canada) par Alice Marchand, 440 p., 29,95 €. En librairie le 3 mars.
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