Jeudi 8 et vendredi 9 décembre se tenait le procès de Heetch. La plateforme de mise en relation de conducteurs et de passagers est notamment accusée de faciliter l’exercice illégal de la profession de taxi. Reconnus coupables par la procureure de tous les faits reprochés, les fondateurs font face à de lourdes réquisitions.
Samedi soir, Heetch semblait bugger, impossible de trouver un driver dans le centre de Paris. Comme si l’application avait pris acte de ces deux jours de procès, laissant entrevoir peu d’espoir aux traversées nocturnes de Paris pour le prix d’un paquet de cigarettes. 300 000 euros d’amende pour l’entreprise, 10 000 euros pour ses dirigeants et l’interdiction de gérer une société pendant deux ans, les réquisitions de la procureure sont lourdes pour les deux fondateurs de la start-up: Teddy Pellerin et Mathieu Jacob, respectivement directeur général et président. Les deux trentenaires sont accusés de faciliter via Heetch l’exercice illégal de la profession de taxi, une pratique commerciale trompeuse et la « mise en relation de particuliers se livrant au transport à titre onéreux sans autorisation« .
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Un procès ponctué de longueurs, notamment lors de questions techniques posées par la présidente à Teddy Pellerin. Cernés d’avocats des parties civiles prêts à en découdre, les prévenus et la défense ont fait usage de réponses rôdées, qui ont eu le don d’agacer la procureure. Reprochant aux start-uppers leur décontraction, elle a affirmé avoir été confrontée aux mêmes éléments de langages que ceux utilisés dans les interviews : « Il n’y a pas une phrase que je n’ai pas entendu 10 fois. Vous jouez sur les mots et vous ne contestez pas les faits« . La problématique pour la défense étant de prouver que Heetch entrait dans la définition légale de covoiturage.
Bien connue des 18-25 ans, l’appli au pouce levé se définit sur Twitter comme « un service de mobilité partagé ouvert uniquement la nuit (20h – 6h), idéal pour les jeunes en soirée« . Cette application mobile mise en service en septembre 2013 sert à mettre en relation conducteurs et passagers grâce à un système de géolocalisation. 30 000 conducteurs occasionnels, dont 80% officient à Paris, assurent quelques 100 000 trajets par semaine en France. Leur fondateurs, tous deux ingénieurs de formation, diplômés de Supelec, se définissent comme des fêtards qui avaient envie de créer quelque chose utile au monde de la nuit: « La communauté Heetch, c’est la communauté des jeunes qui sortent » explique Teddy Pellerin, jeune trentenaire barbu plutôt à l’aise à la barre.
#TouchePasàMonHeetch !! pic.twitter.com/lvdM96fAbH
— Heetch (@Heetch) June 22, 2016
Plutôt Blablacar ou UberPop ? Si les deux fondateurs de la start-up et leurs avocats n’ont eu de cesse de comparer Heetch au numéro 1 du covoiturage, la procureure et les avocats des parties civiles ont préféré voir des similitudes avec UberPop, déclaré illégal pour les mêmes raisons en 2015. Teddy Pellerin a tenté durant ces deux jours, de démontrer que Heetch est le pendant de Blablacar pour les courtes distances : « On fait du covoiturage au sens légal du terme« . Légalement, le covoiturage est définit depuis le 17 août 2015 comme « l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage de frais, dans le cadre d’un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte (…)« .
Covoiturage ou exercice illégal de la profession de taxi ?
« L’argent touché est régulé avec un seuil annuel de partage de frais » explique le directeur général de la jeune entreprise. Plafonnés à 6000 euros de revenus par an, les conducteurs ne feraient que du partage de frais pour amortir leur véhicule. Pas de bénéfice, juste de l’optimisation de bien. En pratique, le conducteur Heetch gagnerait en moyenne 1800 euros par an. Ceux qui veulent conduire doivent s’inscrire sur un planning permettant la régulation et l’application se bloque lorsqu’elle juge que le conducteur l’utilise trop. « On ne limite pas en nombre de trajets car sur un Paris-Versailles, on peut s’arrêter plusieurs fois pour prendre et déposer des gens » affirme le jeune homme. De la co-consommation donc, une des vidéo de formation du conducteur diffusé durant l’audience rappelle bien au futur driver: « Tu ne travailles pas pour Heetch« .
Au fait que le covoiturage implique que les deux personnes se rendent au même endroit, Teddy explique que « 80% des courses sont refusées par les conducteurs, ce qui signifie qu’ils vont vers les destinations qui les arrangent« . Soulignant que le conducteur est surtout là pour passer un bon moment et non pour se faire de l’argent, une remarque qui n’a semblé convaincre personne. Autre argument, le prix affiché par l’application est une suggestion. L’utilisateur peut, s’il veut, payer zéro euro, ce que font 4% des utilisateurs. Ou payer plus, pour laisser un pourboire. Ce que très peu d’utilisateurs font reconnait-t-il. Pourtant, d’après lui : « Une personne qui ne donne rien n’a que 25% de chance en moins qu’un autre de trouver un driver Heetch« . La défense a aussi joué sur le caractère messianique de l’application pour les jeunes habitant en banlieue venant faire la fête à Paris, que « les taxis refusent de raccompagner » et pour qui les autres offres de mobilité sont trop élevées pour leur budget: « Grâce à Heetch, le problème du retour de soirée ne se pose plus pour les jeunes« .
#QuandJetaisPetit les gens n'avaient que le Noctilien pour rentrer chez eux après une soirée ! pic.twitter.com/mHISUyqCNy
— Heetch (@Heetch) September 7, 2016
En équilibre entre partage des frais et enrichissement
Un des points d’achoppement principal du procès réside dans la manière de calculer les suggestions employée par Heetch. D’après Teddy Pellerin elles se basent sur la longueur du trajet, ne tenant pas compte de l’état et de la nature de la voiture. D’après les chiffres donnés par un avocat et constatés par un huissier, sur un trajet de 9,1 kilomètres entre le 16ème et le 19ème arrondissement de Paris, la suggestion est de 10 euros. Alors que pour ce trajet, l’indemnité kilométrique est de 3,31 euro. L’avocat déduit donc un enrichissement.
Pour Teddy Pellerin, les covoiturages de courtes distances sont plus chers au kilomètre que ceux proposés par Blablacar. Le détour pour prendre la personne, le risque de dégradation etc. sont à prendre en compte. « La suggestion est parfois plus haute et parfois plus basse que l’indemnité » explique-t-il sans se démonter.
« L’économie du partage ne doit pas devenir celle du pillage ou des ravages »
Environs 1500 taxis se sont portés parties civiles. L’audience qui devait avoir lieu le 22 juin avait été reportée à cause d’une partie d’entre eux. En effet, une centaine de taxis avaient souhaité se déclarer parties civiles devant la salle d’audience et ainsi demander des dommages et intérêts. Un engouement qui relève uniquement de l’opportunisme pour l’un des avocats de la défense, sachant qu’aucun d’entre n’a prouvé travailler la nuit, sur les horaires couverts par Heetch. Une audience que la défense a tenté d’avorter, évoquant des vices de procédure notamment de la part des enquêteurs. Ceux-ci ont infiltré un groupe Facebook réservé aux drivers Heetch en se faisant passer pour l’un d’entre eux sous le faux nom de Christian Albert. Une nullité du dossier rejetée.
Pour l’un des avocats des parties civiles, « Heetch s’en met plein les poches sous couvert de progressisme (…) Il s’agit de transport à titre onéreux », pour un autre, c’est une « machine à fric« … Évoquant tour à tour des arguments proches, ils estiment que tout le monde n’a pas la même voiture et que le mode de calcul de Heetch donne lieu des gains supérieurs au simple amortissement du véhicule. L’un d’entre eux parle même d’un « amalgame logarithmique » à propos du mode de calcul des suggestions. « Le coût annuel d’un véhicule était de 6000 euros en moyenne en 2011, aujourd’hui il est à 3300 euros car le pétrole est beaucoup moins cher, tacle un avocat, c’est donc fait pour gagner de l’argent« . Une annonce publiée sur le site de L’Étudiant en 2013 pour trouver des drivers fut l’un des éléments les plus délicats à justifier pour Heetch, accusé d’annonce trompeuse. Annonçant notamment une rémunération de 15 euros pour gagner « des revenus complémentaires« , Teddy Pellerin a évoqué une maladresse destinée uniquement à « tester le marché » pour voir si les étudiants possédaient des voitures.
« Le covoiturage va d’un point A à un point B, pas d’un point A à un point B, puis C, puis D… » Entend-on aussi du côté des parties civiles martelant que lors d’un covoiturage, le conducteur décide d’où il va. Pour les avocats des taxis, la complicité est qualifiée, notamment grâce au GPS qui « sert à mailler la ville » et qui conseille aux conducteurs les endroits où aller. L’un d’entre eux va même jusqu’à parler de détournement de clientèle et donc, de concurrence déloyale. Pour un autre, c’est un « jeu d’hypocrisie » de la part des fondateurs. « Le taxi est has been, il faut le tuer » lâche l’un des orateurs comparant le taxi à un patriarche sous le joug d’un enfant en plein œdipe.
« Ne tuez pas la liberté d’entreprendre »
De nombreux témoins se sont succédé à la barre : Frédéric Lefebvre, député des français de l’étranger, l’écologiste Pierre Serne ainsi que Jean-David Chamboredon, observateur de la plateformisation de la société. D’après lui, la législation doit se faire au fur et à mesure que le succès grandit pour ces entreprises issues d’internet : « Heetch est la situation classique d’une boite qui innove hors d’un modèle établi, c’est une pépite (Une start-up qui décolle) (…) Si on ne les aide pas, on va se faire doubler par les sociétés étrangères« .
De son côté la défense a plaidé la relaxe des deux hommes demandant de ne pas tuer « la liberté d’entreprendre« . L’un des termes les plus utilisé dans le procès a été celui d’économie du partage dont Heetch a plaidé en sous-texte être le martyr. Définie par Les Échos comme « une organisation de pair à pair, où les individus s’auto-organisent pour créer un bien commun« ,il ne faut pas la confondre avec l’économie collaborative et l’économie sociale et solidaire. Une économie bien définie pour la procureure selon qui, s’adressant aux prévenus a déclaré : « Le fait qu’une législation vous déplaise ne constitue pas un vide juridique« . Une claque pour ceux qui déclaraient peu de temps avant : « On ne voit pas pourquoi on serait en infraction« . Reconnus coupable de la totalité des faits reprochés par la procureure, il faudra attendre le 2 mars 2017 à 13h30 pour connaître le jugement.
En 2017, il sera peut-être trop tard pour penser à Heetch ! pic.twitter.com/M7636OVxk7
— Heetch (@Heetch) June 14, 2016
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