Voter Macron pour faire échec à Le Pen, certes. Mais après, comment remettre sur pieds la gauche ?
Cela avait curieusement l’air moins violent que la première fois – peut-être parce que nous nous sommes habitués à une certaine médiocrité de la part de la classe politique française – mais nous avons bel et bien vécu un second “21 avril” dimanche dernier, un 21 avril presque à l’envers : pas de candidat de la gauche présent au second tour, ni de la droite d’ailleurs, et un nouveau vote nécessaire en mai contre l’extrême droite (la fille Le Pen cette fois, dont le score a été encore supérieur à celui du père en 2002).
Certains tenteront de se rassurer en avançant que la droite “traditionnelle” a elle aussi explosé – en la personne devenue si étrange de François Fillon ; ou en affirmant que le jeu des partis dits “classiques” a été totalement dépassé (aucun des candidats qualifié pour la suite et, qui plus est, des candidats élus lors de primaires – un désastre pour Les Républicains comme pour le Parti socialiste).
On ne sait toujours pas très bien à quoi ressemble le projet de Macron
Bien évidemment, disons-le d’emblée, le 7 mai il faudra aller voter contre l’extrême droite et il faudra pour cela apporter son suffrage à Emmanuel Macron, pas le choix. On ne sait toujours pas très bien à quoi ressemble ou ressemblera le projet du candidat En marche ! (projet qui agglomère les newcomers : François Bayrou, Alain Madelin, Gérard Collomb ou encore Dominique de Villepin), mais on sait qu’Emmanuel Macron lui-même est sans aucun doute une solution républicaine acceptable pour s’opposer à Marine Le Pen. En revanche, ce que l’on est en droit de se demander, c’est quelles seront les conséquences à court et long terme de cette configuration présidentielle 2017 pour le moins inconfortable.
Très vite, nous avons compris que ce serait un big bang digne d’une téléréalité pour la droite qui, dès l’annonce des résultats, offrait le spectacle live de sa survie – dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Sarkozy, Juppé et désormais Fillon définitivement out (à la fin d’un long calvaire télévisé lui aussi), c’est la cohorte des Baroin, Wauquiez, Le Maire, NKM ou même Copé (comme quoi en politique on ne meurt jamais) qui tentait déjà en direct de dépecer le cadavre encore chaud.
Droite et gauche « classiques » sont affaiblies
Cette génération d’ambitieux aura un enjeu majeur : gérer son rapport à Sens commun qui, en refusant dimanche de se prononcer pour Macron ou Le Pen, a propulsé encore plus loin Les Républicains vers le paléolithique. Décomplexée sur son aile la plus extrême, plombée par les affaires mais toujours fascinée par le pouvoir, cette droite considérée comme “classique” pourrait s’affaiblir encore plus dans les semaines qui viennent et ouvrir, pour les mois et les prochaines années, une brèche encore plus grande au Front national, en chassant sur ses thématiques ignominieuses (il faut bien conserver les circonscriptions pour croûter).
Et que dire de la gauche alors. Cette gauche successivement affaiblie par un François Hollande “lui président de la République” incapable de respecter ses engagements, par les frondeurs qui trahirent dès les premiers mois du quinquennat (Montebourg, Filippetti, et bien sûr Hamon, humilié dimanche avec ses 6 %, auxquels il faut ajouter l’apport des Verts dont le cas semble définitivement réglé) et enfin par Manuel Valls qui ne cessa de droitiser la danse jusqu’à faire la manche ces dernières semaines chez Emmanuel Macron.
Un boulevard pour Jean-Luc Mélenchon ?
Le Parti socialiste, déjà touché par les ralliements successifs à En marche ! durant la campagne, est mort le 23 avril au soir entre les bras frêles de Benoît Hamon. Un boulevard pour Jean-Luc Mélenchon, auteur d’une campagne pourtant exceptionnelle, mais qui s’est conclue dimanche par la prise d’un mur à 19% et une allocution au goût amer qui ne faisait part d’aucune consigne de vote (alors que l’engagement du leader de La France insoumise contre le Front national n’a pourtant jamais été à démontrer, étonnante réaction).
C’est sans aucun doute la conséquence la plus dramatique de ce “21 avril” bis : l’affaiblissement historique de la gauche dans son ensemble et la disparition d’une histoire des idéaux de cette même gauche dans les (déjà) lointains souvenirs du passage d’Emmanuel Macron au sein du gouvernement dit socialiste (peu de véritables traces en effet des préoccupations écologiques ou d’une quelconque idée de justice sociale dans son propos de campagne).
Une gauche qui s’élaborera loin de la rue de Solférino
Alors que le vote En marche ! au second tour, nécessaire rappelons-le, constituera pour toute une catégorie de personnes une conversion opportuniste et quasi définitive au libéralisme ambiant (appelons cela poliment la social-démocratie), la défaite programmée de Marine Le Pen ne fera que renforcer les populismes, la tentation xénophobe et les volontés d’isolationnisme.
C’est dans cet entre-deux compliqué qu’il appartient désormais de commencer à construire la gauche de demain. Une gauche qui s’élaborera loin de la rue de Solférino, loin des coups de poignards et des voitures de fonction. Sans doute la génération qui aura “planté” le PS se doit de renoncer dès maintenant à cette aventure.
Sans doute que Jean-Luc Mélenchon se devra de préciser sa position pour le second tour dans les jours qui viennent, pour s’ancrer plus clairement comme l’inspirateur possible d’une gauche de gauche qui pourrait, pourquoi pas, rassembler de Christiane Taubira à Olivier Besancenot, en passant par quelques écologistes encore debout (emmenés par Julien Bayou). Cette nouvelle histoire pourra débuter le 8 mai, une fois l’extrême droite battue. Le travail pourra alors commencer, en partant de presque rien.