De la Grande Halle de la Villette à la Fondation Vuitton, Paris accueille ce printemps les nouvelles générations d’artistes africains. Une scène émergente, enfin reconnue, par les institutions et le marché.
“Il semblerait que l’Afrique soit à la mode”, notait le mois dernier Simon Njami, commissaire de l’exposition Afriques Capitales, qui se prolonge jusqu’au 28 mai à la Grande Halle de la Villette. Et d’ajouter aussitôt à ce constat d’un engouement africaniste soudain : “L’expression n’est pas sans soulever un certain nombre de questions : de quelle mode s’agit-il ? Quels sont les signes qui permettent de juger de la pertinence d’une telle affirmation ?”
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C’est en effet la question qui se pose devant le foisonnement des expositions qui se concentrent explicitement ce printemps sur l’Afrique à Paris et ailleurs : Art/Afrique, le nouvel atelier à la Fondation Louis Vuitton ; Afriques/Capitales à la Villette et Afrique Capitales Vers le cap de Bonne espérance à Lille ; Trésors de l’Islam en Afrique à l’Institut du monde arabe ; sans parler de la récente foire Art Paris Art Fair début avril au Grand Palais, mais aussi, l’automne dernier, de L’Autre Continent au Havre ou de la foire AKAA…
Contre une vision exotique
Cette concomitance d’événements animés par le même désir de révéler la créativité d’un continent longtemps négligé ne va pas sans susciter des interrogations sur la nature de cette curiosité. Comme si un continent pouvait par lui-même constituer un “objet“ artistique ; comme si l’on était encore tenu, pour s’intéresser aux artistes africains contemporains, de les aborder par le biais, quasi essentialiste, de leur origine géographique commune, elle-même divisée en de multiples sous-parties territoriales. Imaginerait-t-on de visiter aujourd’hui des expositions sur la scène artistique européenne ? (cela ne serait pas forcément inintéressant, au passage, dans le contexte géopolitique actuel : existe-t-il en somme un « art européen » qui serait à distinguer d’un art « américain » par exemple ?).
Comment donc conjurer le risque de parler de l’Afrique comme d’un tout homogène et d’en projeter une vision stéréotypée, toujours secrètement présente dans les imaginaires ? L’ex-président Sarkozy n’avait-il pas déclaré que l’Afrique n’était toujours pas « entrée dans l’Histoire » ? Marie-Ann Yemsi, commissaire des prochaines Rencontres photographiques de Bamako et de l’expo Le jour qui vient aux Galeries Lafayette, faisait récemment remarquer dans Le Monde qu’on était même “resté dans une vision exotique, fantasmée de l’Afrique“, comme un écho de l’exposition marquante de 1989 à Beaubourg, Les Magiciens de la terre, qui pouvait laisser croire que “ne saurait être un bon artiste africain que celui qui se référerait à la magie, à la cosmogonie, et qui aurait été préservé de toute influence“.
On ne peut donc exclure cette hypothèse d’un effet de mode indexé à un retard dans l’attention accordée à une scène artistique “invisibilisée“ en grande partie à cause de sa difficulté à intégrer un marché fermé à toute curiosité. Or, ce marché mondial de l’art s’ouvre enfin à ces artistes africains, qui circulent de plus en plus. Ce que révèlent sensiblement toutes ces expositions d’un printemps africain, c’est surtout la diversité des regards, des écritures, des images, des démarches artistiques qui, s’entremêlant, forment une “scène” éclectique et vivante.
Déjouer les clichés
De telle sorte que l’art africain contemporain semble plus contemporain qu’africain au fond, dans sa façon de déjouer, sans cesse, les clichés qu’on pourrait attendre de lui, et de s’écarter de toute ligne culturelle figée dans ses fondements anthropologiques. Sans renier la part d’identité qui les rattache à leur continent ou à leur pays, tous les artistes africains ici exposés se dégagent de tout folklore culturel unifié, fixe, immuable.
Grâce au travail de médiation et de sensibilisation déployé par quelques commissaires et spécialistes du continent, comme Simon Njami, cofondateur de la Revue noire, Marie-Ann Yemsi, Dominique Fiat, fondatrice d’Africa Aperta, André Magnin ou le collectionneur Jean Pigozzi, dont les œuvres sont exposées dès cette semaine à la Fondation Vuitton, la scène artistique africaine se dévoile ainsi sous tous ses plis et toutes ses coutures. Si elle est un continent, l’Afrique est surtout un labyrinthe artistique, traversé de multiples élans.
L’exposition Afriques Capitales à La Villette forme de ce point de vue un édifiant indice du foisonnement créatif. En centrant le regard sur la question spécifique de la ville, Simon Njami a réussi à “rendre visible la contemporanéité d’un continent“, à travers les œuvres d’une soixantaine d’artistes, toutes générations confondues, de Pascale Marthine Tayou à William Kentridge, d’Akinbode Akinbiyi à Nabil Boutros de James Webb à Mimi Cherono Ng’ok, de Leïla Alaoui à Hassan Hajjaj…
Un chaos poétique
En pénétrant la Grande Halle, d’étranges maisons suspendues nous accueillent, comme si du ciel le monde annonçait son propre renversement : les Falling Houses, installation de l’artiste camerounais Pascale Marthine Tayou, structurent, par leur chaos poétique, le vaste espace de l’exposition. Perchées, ses inquiétantes cabanes veillent sur nous.
Errant ici et là, comme on se perd dans une forêt, ou plutôt dans une mégalopole riche de mille ruelles, le visiteur se frotte à des images et des ambiances éclatées dont l’association donne un peu le tournis (comme une marche dans une ville, qui bascule un moment dans un vertige) ; on s’arrête dans le cabinet de curiosité de Jean Lamore, écrivain, peintre, sculpteur, dont toute l’œuvre tend vers la connaissance des secrets de l’art et de l’histoire africaines ; on s’égare dans l’antre fou de Poku Cheremeh, jeune artiste ghanéen qui a tapissé les murs de sa chambre de cracker suédois, sculpté des lampes avec du chewing-gum et tressé ses rideaux avec des cheveux ; on contemple les ruines d’une ville, Labyrinth, de l’artiste égyptien Youssef Limoud ; on est séduit par les photographies habitées de l’Ethiopienne Aida Muluneh, réinventant des rites contemporains à travers des personnages qu’elle invente ; on contemple le minaret de Moataz Nasr, choisi pour représenter l’Égypte à la Biennale de Venise : une architecture hybride, faite de bois trouvés et de cristal, illuminée de l’intérieur, dégageant un calme inspiré par la philosophie soufie…
A tous les artistes présents à La Villette jusqu’au 21 mai, la Fondation Louis Vuitton apporte un autre complément, comme un élargissement incessant du territoire artistique africain, qui s’annonce, lui aussi, palpitant avec la présence d’œuvres issues de la collection Pigozzi – Barthélémy Toguo, Calixte Dakpogan , Romuald Hazoumè , Rigobert Nimi… – et d’artistes sud-africains, de plus en plus nombreux – William Kentridge , Zanele Muholi, Thenjiwe Niki Nkosi, Athi Patra Ruga, Sekhukhuni Bogosi, Buhlebezwe Siwani, Kemang Wa Lehulere, Sue Williamson… En attendant le moment où il ne sera plus nécessaire de souligner d’où ils viennent, c’est à dire ce moment de libération d’une assignation culturelle un peu trop réductrice, tous ces artistes présents à Paris nous rappellent combien le continent africain est entré de plein pied dans l’histoire de l’art contemporain.
Afriques Capitales, Grande Halle de la Villette, jusqu’au 28 mai
Art/Afrique, le nouvel atelier, du 26 avril au 28 août 2017, à la Fondation Louis Vuitton
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