Sur “Let’s Start Here.”, le rappeur originaire d’Atlanta envoie tout balader sur un album hautement psychédélique au casting 5 étoiles. Pétard mouillé qui fait fuzz ou coup de génie sous influences ? Tentative d’explication.
Tracer l’héritage du psychédélisme sous toutes ses formes dans le monde du rap est chose aisée : on passe des compilations Chopped and screwed sous influences de DJ Screw à l’Acid Rap de Chance the Rapper, le rap foncedé de Cypress Hill, de Kid Cudi ou de Yung Lean. On fait un détour chez Action Bronson et ses productions très Las Vegas Parano ou celles éthérées de Clams Casino. Avant de s’arrêter du côté des folles expérimentations d’OutKast, le soul-rap d’A Tribe Called Quest et De La Soul, la scène de Flatbush (New York) ou encore l’abstract hip-hop de Shabazz Palaces. Et la liste continue.
Alors comment expliquer que dans un monde où cohabitent les productions de Tame Impala pour Travis Scott, la musique sous psychotropes d’A$AP Rocky, ou les beats euphorisants de Pi’erre Bourne, Let’s Start Here., le nouvel album psyché du rappeur Lil Yachty dévore à ce point l’espace médiatique dans un alliage d’émerveillement et d’agacement ?
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Je ne suis pas un rappeur
Avec the BLACK seminole., morceau d’ouverture du disque, le rappeur originaire d’Atlanta livre une note d’intention qui cristallise tout, à la fois les faillites et les réussites du disque. À commencer par la différence cruciale qui le sépare des disques précédemment cités : Let’s Start Here. est moins un album de rap psychédélique qu’un album de rock psychédélique – mâtiné de soul et de rap – réalisé par un rappeur. À ce titre, lors d’une session d’écoute surprise ce jeudi 26 janvier, le rappeur a réveillé des débats urticants avec une disquette bien connue des auditeur·trices de rap : “Je veux vraiment être pris au sérieux en tant qu’artiste, pas simplement un rappeur de Soundcloud ou un mumble rappeur.” Comme si Soundcloud n’avait pas réveillé – comme MySpace en son temps – tout un tas d’inventions formelles sidérantes, comme si n’être qu’un rappeur devait être perçu de manière dégradante.
Face à l’engouement suscité par le disque, certain·es sont donc monté·es au créneau pour fustiger des auditeur·trices de rap toujours plus prompt·es à plébisciter les disques qui s’affranchissent du genre plutôt que ceux qui en repoussent les limites esthétiques. Celles et ceux pour qui la véritable renaissance de Lil Yachty avait eu lieu deux ans plus tôt sur l’attachant Michigan Boy Boat. Album qui consacrait, dans la plus pure tradition du Detroit rap, la scène du Michigan (Icewear Vezzo, Rio Da Yung OG, Tee Grizzley, Sada Baby, BabyTron…). On comprend que la pilule ait du mal à passer.
Débats hallucinés
Sur Twitter, le journaliste, toujours très éclairé, Jeff Weiss alias Otto Von Biz Markie écrit : “l’album de Lil Yachty est attachant et amusant du fait de son faible enjeu et de son aspect fait-pour-vendre des vinyles chez Urban Outfitters, mais ce serait bien mieux si le marché de la culture de masse ne faisait pas comme si Tame Impala avait inventé le psychédélisme et A$AP Rocky découvert l’acide.” Si la citation prête à sourire et qu’on lui passe ce léger soupçon de cynisme quant au supposé opportunisme de Lil Yachty – ce dernier a tout à fait droit à sa révolution psyché –, l’intuition de Weiss n’en reste pas moins pertinente pour illustrer le mur auquel se heurtent certaines ambitions de Let’s Start Here.
Pourtant, face à la vacuité de certaines tentatives de crossovers tels que Speedin’ Bullet 2 Heaven de Kid Cudi ou Rebirth de Lil Wayne, le lustre de Let’s Star Here. a tout de même belle allure. Réunissant pour l’occasion un casting all-star de producteurs, SADPONY, son frère et collaborateur Justin Raisen, Patrick Wimberly, ex-Charlift, mais aussi de co-auteurs (Mac DeMarco, Alex G), de musicien·nes (Ben Goldwasser de MGMT, Jacob Portrait de Unknown Mortal Orchestra, Magdalena Bay) ou de featurings (Foushée, Justin Skye, Teezo Touchdown), Lil Yachty convoque tout un imaginaire récent du psychédélisme.
Psych fest
Moins floydien que ce que son intro laisse penser – plus note d’intention libératrice mais indigeste que véritable révélateur du disque –, l’album lorgne définitivement vers la pop chromée et hallucinatoire de Kevin Parker ou la machinerie nostalgique de Random Access Memories de Daft Punk et du récent Dawn FM de The Weeknd épaulé par Oneohtrix Point Never (duquel il n’hésite pas à piller quelques effets de manche).
Mais dans ce fatras de synthés et de guitares réverbérées qui pourrait tourner au pastiche pontifiant par instants, c’est finalement par l’intermédiaire du rap que Let’s Start Here retombe gracilement sur ses pattes. Par un simple artifice éprouvé sur son récent tube, l’impromptu Poland, une mélodie auto-tunée traînante, nasillarde et syncopée, Lil Yachty a inventé le cœur battant de son disque. Mixé, ici, à ses influences sixties, cet effet surréaliste cache, en creux, la véritable trouvaille psyché de Let’s Start Here. Rien de grandiloquent comme un solo de guitare perfusé à Jimi Hendrix, pas de quoi crier au génie, mais une invention formelle purement rap. Juste assez pour balayer les soupçons d’opportunisme et les procès en parodie : un beau geste émancipateur.
Let’s Start Here. de Lil Yachty
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