Les œuvres de Kinke Kooi retirent du réel contaminé des concrétions opalescentes qu’elle décline au fil de petits formats d’une sensualité baroque. Le vocabulaire de l’artiste, née en 1961 et coqueluche de l’art émergent, s’expose pour la première fois en solo à Paris.
Kinke Kooi s’immerge, et nous avec, dans la matérialité de l’ère de l’extinction, c’est-à-dire l’actuelle. Et comme le plongeur en apnée, l’artiste néerlandaise, née en 1961, en retire les perles paradoxales. Irrémédiablement contaminées, elles ont la beauté artificielle d’une nature dès lors placée sous perfusion de perturbateurs endocriniens : un baroque pour les temps présents, à l’harmonie dissonante.
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Ces concrétions opalescentes, encore serties dans une bogue fripée comme un intestin, brillent d’un éclat un peu trop vif. Quelque chose attire et inquiète à la fois, dès le premier regard posé à la surface immaculée, parfaitement lisse et infiniment minutieuse, de ses petits formats à l’acrylique et aux crayons de couleur.
La galerie comme cabinet de curiosités
Ses œuvres sur papier, l’artiste les présente sans cadre : rien ne les protège, ni ne les retire, pas de verre matériel, ni de démarcation symbolique. De la proximité découle alors la temporalité du regard : il faut s’approcher, accepter de se laisser contaminer et perturber au sens fort à son tour. On pense aux cabinets de curiosités calfeutrés de la Renaissance, à ces trouvailles extirpées d’une nature encore perçue comme vierge, et offertes à un regard quasi érotique parce que retiré de la sphère publique.
Or, ce temps-là de vision demande un certain contexte. Et si l’artiste est, depuis quelques années, la coqueluche des foires d’art et group-shows thématiques dédiés à la création émergente, la présentation en galerie permet une absorption plus intime. La charge érotique, alors, sourd librement des associations mentales face à des représentations qui, précisément, se dérobent à toute représentation d’un motif assignable.
Being Around, sa première exposition à la galerie Édouard Montassut, rassemble un ensemble d’œuvres récentes. Son vocabulaire, immédiatement reconnaissable, est ici augmenté par endroits d’ajouts d’objets trouvés : des couverts en plastique, des joyaux de pacotille ou des boutons pression. À vrai dire, on les remarque à peine, tant ils se fondent dans la prolifération du dessin.
La question du genre reformulée
À l’instar de l’œuvre de 2022, Why Do Man Have Nipples? [Pourquoi l’homme a-t-il des tétons ?], frêle feuille pliée en son centre et punaisée, marquée d’une double incrustation de ces boutons pression en question, eux-mêmes enchâssés au sein de globes ceints d’un rang de perles esquissées au trait et nageant dans un univers pastel-core – passant du bleu au rose, en arpentant l’infinité de nuance entre ces deux tonalités ultra-genrées.
En liant plus étroitement encore les deux registres, l’objet et la représentation, l’un dévorant l’autre jusqu’à s’indistinguer, c’est également la question du genre qui est reformulée : dans ce microcosme d’incessantes métamorphoses, tout transitionne et s’interpénètre. Les saynètes de Kinke Kooi semblent en cela matérialiser le mot d’ordre du Manifeste Xénoféministe : “Si la nature est injuste, changez la nature !”
Kinke Kooi, Being Around, jusqu’au 18 février à la galerie Édouard Montassut à Paris.
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