Après « L’Insurrection qui vient » (2007) et « A nos amis » (2014), le Comité invisible signe « Maintenant », qui entend « opérer un partage à l’intérieur même de l’idée d’insurrection ».
Sa parution avait été annoncée pour le 21 novembre 2016. C’est finalement le 21 avril 2017 que sort en librairie Maintenant, le nouvel opus du Comité invisible, après L’Insurrection qui vient (La Fabrique, 2007), et A nos amis (La Fabrique, 2014). « Il a été décalé parce qu’il n’était pas terminé ! Mais le 21 avril n’a cependant pas été choisi complètement au hasard », nous glisse un membre de ce groupe révolutionnaire qui souhaite conserver l’anonymat. Pour mémoire, en 2007 les autorités avaient soupçonné Julien Coupat et le « groupe de Tarnac », à l’époque accusés de « terrorisme », d’être liés au Comité invisible – ce qu’ils continuent de nier.
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« Tout se passe comme si l’élection n’avait pas eu lieu »
La date choisie est donc toute symbolique – le 21 avril 2002 est resté gravé dans les mémoires –, et opportune, à l’avant-veille du premier tour. D’ailleurs, les auteurs raillent le scrutin avec malice :
« Cette ultime source de légitimité [de l’Etat] est à présent épuisée. Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, même quand c’est l’option d’un ‘pouvoir fort’ qui l’emporte, c’est désormais d’un pouvoir faible que l’élection accouche. Tout se passe comme si l’élection n’avait pas eu lieu ».
Dans le sillon d’une constellation intellectuelle qui comprend depuis novembre 2014 le site Lundi Matin, et des groupes autonomes multiformes, comme Génération ingouvernable, le Comité invisible s’inscrit résolument en faux avec les sermons électoralistes. Les 155 pages de ce livre puisent au contraire leur inspiration dans le « conflit politique du printemps 2016 », et y cherchent les germes d’une perspective insurrectionnaliste nouvelle.
« Un conflit politique, au même titre que 1968 »
Les mots sont importants, et ces ouvriers qualifiés de l’atelier du verbe ne les utilisent jamais à la légère : « Ce qui s’est passé au printemps 2016 en France n’était pas un mouvement social, mais un conflit politique, au même titre que 1968 », insistent-ils. Ils citent d’ailleurs à deux reprises le livre Plus vivants que jamais, sorte de journal des barricades écrit en 1968 par l’auteur surréaliste Pierre Peuchmaurd, et comparent la liberté d’esprit dont ont fait preuve les graffitis au printemps 2016 à celle qui s’est emparée des murs en 1968.
« Ce que le ‘casseur’ démontre en actes, c’est que l’agir politique n’est pas une question de discours, mais de gestes ; et cela, il l’atteste jusque dans les mots qu’il laisse à la bombe sur les murs des villes », écrivent-ils.
Jusque dans sa forme, le livre exalte les émeutes qui ont agité la France en 2016, de sa couverture aux titres de ses chapitres, qui reprennent mot pour mot les slogans situationnistes qui ont fleuri à la faveur des cortèges.
La destitution
C’est dans cette forme de manifestation nouvelle que le Comité invisible se reconnaît : « L’émeute, le blocage et l’occupation forment la grammaire politique élémentaire de l’époque ». Cette radicalité le conduit en négatif à critiquer aussi bien l’extrême gauche traditionnelle que la plupart de ses penseurs actuels – de Jean-Claude Michéa à Chantal Mouffe, en passant par Frédéric Lordon et Toni Negri. L’expérience de Nuit debout, « misère de l’assembléisme« , en prend aussi pour son grade : « Nuit debout s’apparenta finalement à un parlement imaginaire, une sorte d’organe législatif privé d’exécutif, et donc une manifestation publique d’impuissance bien faite pour médias et gouvernants. »
Pour détruire sérieusement « le vieux monde du capital », le Comité invisible théorise le processus de « destitution », opposé au « geste constituant » hérité de la révolution de 1789. La meilleure illustration de cet outil insurrectionnel réside dans le « cortège de tête » : « Typiquement, l’opération que le cortège de tête a fait subir au dispositif processionnaire de la manifestation syndicale est une opération de destitution. » Celle-ci serait nécessaire « pour opérer un partage à l’intérieur même de l’idée d’insurrection ».
Traité de savoir vivre à l’usage d’une génération insurgée
Pourtant, alors que « toutes les raisons de faire une révolution sont là », rien ne se bouge ou presque. Et la succession de débordements qui ont eu lieu au printemps dernier s’est arrêtée nette au moment où la campagne électorale a commencé. Plusieurs initiatives allant dans le sens du boycott actif de la présidentielle ont d’ailleurs échoué. Faut-il l’imputer à une forme d’atavisme inéluctable ? Ou à l’absence d’un parti révolutionnaire, comme le soutient l’extrême gauche ? Qu’à cela ne tienne, dans son nouveau « traité de savoir vivre à l’usage des jeunes générations« , le Comité invisible affirme que « personne n’organisera plus l’autonomie des autres« . Et conclut : « Nous autres révolutionnaires ne sommes liés par aucune obéissance, nous sommes liés à toutes sortes de camarades, d’amis, de forces, de milieux, de complices, d’alliés. »
Maintenant, du Comité invisible, éd. La Fabrique, 155 p., 9 €
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