Le réalisateur tunisien dépeint un pays en stagnation après les espoirs de la révolution de 2011.
Ashkal signifie “formes” en arabe. Dès sa scène d’ouverture, le premier long métrage du réalisateur tunisien Youssef Chebbi déclame son ambition de s’inscrire comme un pur objet formaliste, un film d’architecture des formes. Ces formes, ce sont celles du quartier des Jardins de Carthage à Tunis, une série d’immeubles, d’appartements, modernes à la Dubaï qui a été laissée à l’abandon après la révolution de 2011. Censées être le nouveau joyau de la dictature, ces infrastructures désaffectées évoque un vestige limpide de cette période. Filmé comme des personnages à part entière, ils flottent dans l’air comme des fantômes du passé qu’on croyait disparu, mais bien toujours présent.
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La caméra saisit la grande teneur fantastique de ses emplacements urbains, inquiétants et écrasants, où les fenêtres sombres et vides des bâtiments se veulent comme autant de surcadrages pour accueillir la tragédie : le corps d’un ouvrier du bâtiment a été découvert, incinéré, parmi les os verticaux en béton du quartier. Ce premier meurtre entraîne par la suite une série de morts mystérieuses par immolation qui fait l’objet d’une enquête par la police de Tunis, dont beaucoup sont eux-mêmes examinés pour des crimes et des actes de corruption commis dans le cadre du régime de Ben Ali.
Une allégorie à combustion lente
Cette réinterprétation du polar, étrange et désenchanté, de Youssef Chebbi dépeint un pays en stagnation après les espoirs de la révolution du jasmin. Teinté d’un surnaturel qui évoque Cure de Kiyoshi Kurosawa, Ashkal dilue volontairement la tension et les enjeux de son enquête au profit d’une atmosphère fantastique, une allégorie à combustion lente dont chaque nouvelle artère serait censée perforer les profondeurs de la psyché d’une nation.
Entêtant chez le Japonais, ce dispositif formel tout en composition millimétrée et pans d’immeubles à la verticalité tranchante dessinent un film à la géométrie parfaite qui tend toutefois vers un systématisme de la raideur. Dans le creux de ce filmage manquant d’élasticité, le film éparpille une série de sujets sur la situation politique et sociale du pays (la corruption, l’héritage des dictatures, le traitement inhumain des migrants ou encore la façon dont les réseaux sociaux relayent le discours de radicalisation politique). Davantage évoquées que développées en profondeur, ces thématiques sont laissées dans un état proche de l’abstraction, trouvant difficilement sa place au sein de cette hégémonie formelle trop écrasante.
Ashkal de Youssef Chebbi, avec Fatma Oussaifi, Mohamed Houcine Grayaa, Rami Harrabi. En salle le 25 janvier.
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