Dans “Babylon”, “Mon crime” et “The Fabelmans”, Chazelle, Ozon et Spielberg semblent regretter un certain âge d’or du cinéma. Malgré les difficultés, il reste pourtant aujourd’hui un art bien vivant.
Une même image circule de film en film en ce début d’année 2023 : c’est une salle immense copieusement remplie de spectateurs et spectatrices hébété·es, qui regardent tous·tes dans une même direction, celle d’un écran gigantesque.
Nous sommes au cœur du XXe siècle. Les films étaient projetés dans des salles à balcon devant des milliers de personnes serrées les unes contre les autres. Dans The Fabelmans de Steven Spielberg, un petit garçon de 5 ans se rend pour la première fois au cinéma accompagné de ses parents. Il voit, les yeux écarquillés, projeté sur un mur immense, un train se démembrer dans un grand chaos de wagons projetés en l’air (Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille, 1953). Il en ressort commotionné, provisoirement incapable dans parler tellement la déflagration sensorielle fut immense.
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Dans Babylon de Damien Chazelle, un homme éclate en sanglots devant Chantons sous la pluie (1952). Il faut dire qu’il travailla à Hollywood dans les années 1920 et que le film, faisant le récit de la transition industrielle violente du muet au parlant, résonne fortement avec sa propre vie (normal puisque Damien Chazelle a pillé, pour écrire son film, Chantons sous la pluie – et ce n’est pas parce qu’il vend lourdement la mèche avec cet épilogue de petit malin que son geste diffère d’un plagiat).
Dans Mon crime de François Ozon, les deux héroïnes traversent le Paris des années 1930 pour voir Mauvaise Graine de Billy Wilder. Dans la salle, elles écoutent, charmées, parmi un public dense et grisé, Danielle Darrieux chantonner de sa voix de rossignol.
Ces trois scènes de projection racontent la même chose sur le même ton : la magie disparue de ces temples fastueux que constituaient les salles de cinéma des années 1930, 1940 ou 1950 ; la ferveur de ces foules si vastes rassemblées devant un spectacle populaire qui parlait à tous et toutes ; la dimension liturgique de cette cérémonie païenne, entre la messe et l’hypnose, que constituait une séance de cinéma. De telles effusions nostalgiques ne vont pas sans poser quelques questions embarrassantes. Et si l’apogée du cinéma était définitivement loin derrière nous, et que le spectacle le plus désirable qu’il puisse encore proposer était essentiellement la mise en scène de sa propre légende ?
L’épilogue de Babylon est, de ce point de vue, révélateur. Sur l’écran où est projeté Chantons sous la pluie se substituent des images des premiers films de Muybridge, puis l’arrivée du train des Lumière, la Lune énuclée de Méliès, Les Vampires de Feuillade, Louise Brooks, Le Magicien d’Oz, les premiers Godard, Persona de Bergman et ainsi de suite jusqu’à Avatar. La séquence est un peu gênante. Elle tient à la fois du spot publicitaire d’un ministère de la Culture pour le sauvetage des salles et d’un clip hommage projeté en ouverture d’une cérémonie des Oscars. Et même en courant jusqu’à Cameron (donc l’extrême présent, via le carton actuel d’Avatar 2…), une telle oraison a quelque chose d’un peu funèbre.
Bien sûr, il y a le cinéma comme symbole, grand tout, storytelling de légende. Et puis il y a les films, que l’on aime forcément isolément, ou qu’on rejette, qu’on arrache en tout cas à ce grand récit unifié. En dépit des correspondances entre les films, on peut par exemple trouver grandiloquente et superficielle la fresque babylonienne de Damien Chazelle et au contraire bouleversante et totalement habitée l’autobiographie en homme engendré par le cinéma de Steven Spielberg. On aura l’occasion de revenir souvent et longuement sur le magnifique The Fabelmans jusqu’à sa sortie le 22 février. On espère aussi que d’ici là, et après, de nombreux autres films sauront arracher le cinéma à ces rêveries testamentaires et affirmeront en actes qu’il est également un art du XXIe siècle.
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