Dans une réédition de son texte “Les Abus gris”, Blandine Rinkel prolonge la discussion avec le chanteur de Feu! Chatterton.
Une femme (Blandine Rinkel) invite un homme (Arthur Teboul, le chanteur de Feu! Chatterton) à dialoguer sur la notion d’abus, de zone grise, de pourvoir et de désir. Un geste nécessaire. “À 18 ou 20 ans, je tenais à plaire aux hommes suffisants”, commence Blandine Rinkel dans Les Abus gris, un court récit qui paraît aujourd’hui chez 1001 Nuits. Un texte parfait d’intelligence où l’écrivaine trouve les mots précis, sensibles, pour décortiquer, analyser et comprendre comment et pourquoi elle s’est retrouvée dans ce que l’on a nommé, récemment, une “zone grise”.
Comment et pourquoi, à vingt ans, elle a accepté de poser pour un photographe, de se déshabiller quand il le lui a proposé, de prendre des poses érotiques quand il le lui a demandé. Puis s’est sentie salie, honteuse. “J’écris cela parce qu’entre l’abus criminel et le consentement net, il y a un monde gris, inconfortable et trouble, dont nous avons parfois peur de parler, parce que nous croyons y avoir notre part de responsabilité – nous en avons joué – en même temps que nous savons notre part d’irresponsabilité – nous n’avions pas instauré les règles de ce jeu.”
Ce texte est d’abord paru en 2020 dans un essai collectif, Les Désirs comme désordre (Pauvert). Si l’on mentionne sa réédition aujourd’hui, c’est que l’écrivaine a eu la belle idée de le prolonger avec un dialogue entre elle-même et Arthur Teboul, le chanteur de Feu! Chatterton. Une femme invite donc un homme à partager le récit et le souvenir d’un “abus gris” avec lui, pour savoir ce qu’il en pense, ce qu’il a à en dire, en tant qu’homme et artiste dont l’aura de chanteur le met en position de pouvoir par rapport aux filles, et en tant que corps érotisé sur scène, en position d’objet sexuel. “Cela demande un travail assez méticuleux de veiller pour détruire, à chaque instant, la manifestation de son orgueil, de son pouvoir”, lui confie-t-il alors.
J’ai trouvé le geste de Rinkel nécessaire, salutaire : inviter un homme à s’exprimer lui aussi sur ces questions d’abus, de pouvoir, de désir, de honte, de genre. Partager avec lui, créer un espace où il l’entend, où elle l’entend. C’est, à mon sens, ce dialogue, cet échange, cette parole qui manquent aujourd’hui. Si l’on n’inclut pas les hommes dans nos actions, nos revendications, notre être féministe, si on ne les invite pas à partager cette parole-là, à condamner eux aussi le viol, à s’exprimer contre le patriarcat, rien ne changera en profondeur ou alors extrêmement lentement. Car des déçus du patriarcat, qui se sentent eux aussi enfermés dans des rôles qu’ils ne supportent plus, il y en a sans doute plus qu’on ne le pense. Comme le dit Teboul : “Ça demande un peu de force d’accepter de se montrer sans pouvoir, faible, humain, comme tout le monde, nul, bête. Mais c’est important. Depuis quelques années, je suis dans une conscience permanente du danger que je représente à mes propres yeux.”
Les Abus gris (1001 nuits), 42 pages, 3,50 euros.