Très à l’aise avec son héritage cinématographique, David Depesseville porte le jeune héros orphelin de son film vers les cimes de la mythologie.
On nomme astrakan la fourrure noire fournie par les agneaux morts-nés. Ce mouton noir sacrifié, c’est Samuel, garçon de 12 ans placé dans une nouvelle famille au début du film. S’il y a un héritage difficile à revendiquer, c’est bien celui de Robert Bresson. Dans son premier long métrage, David Depesseville s’avère pourtant en être un disciple prometteur. Du maître janséniste, le cinéaste remixe les motifs les plus foudroyants avec une vitalité impressionnante, préservant toujours sa propre singularité.
Entouré des figures parentales incarnées par Jehnny Beth, Bastien Bouillon, Lisa Heredia et Paul Blain, le jeune Mirko Giannini, doté d’un timbre clair et atone doublé d’un jeu intériorisé, fait preuve d’une présence extrêmement physique, rétive à toute psychologisation du corps. Traversée par un sens de l’ellipse fulgurant et d’un morcellement tranchant de l’espace, toute la partition sonore et visuelle semble ici converger vers un même horizon : saisir l’extrême sensorialité d’un milieu rural pour mieux renier l’enregistrement réaliste du quotidien dont serait porteur le film social.
Partir de la matière pour mieux la dépasser
À plusieurs moments, Astrakan se révèle proprement prodigieux, comme lors d’un raccord saisissant menant de la nef d’une église vers le détail d’un linceul blanc se teintant lentement d’une tache pourpre. De bout en bout, le film convoque un imaginaire biblique qui trouve son accomplissement dans le morceau musical final, élevant davantage son récit vers les cimes de la mythologie. Malgré sa dimension symbolique quelque peu outrée, cet épilogue trace à son agneau sacrificiel un chemin vers un nouvel horizon. Une trajectoire qui semble être aussi bien celle de son héros que le credo de son auteur : partir de la matière pour mieux la dépasser par la transcendance.
Astrakan de David Depesseville, avec Jehnny Beth, Bastien Bouillon, Mirko Giannini (Fr., 2022, 1 h 44). En salle le 8 février.