Huit ans après “Vincent n’a pas d’écailles”, “La Montagne” dépeint l’expérience physique d’un ingénieur irrésistiblement attiré par les sommets.
Il suffit d’une machine à café haut de gamme dans une cuisine parfaitement agencée puis d’une tasse qui vacille au bord de l’évier pour suggérer l’asphyxie d’un quotidien prêt à se fissurer. Et d’une démonstration de bras robotique entrecoupée d’irrépressibles regards jetés par la fenêtre pour ouvrir une ligne de fuite dans une existence apparemment sous contrôle.
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Avec La Montagne, Thomas Salvador quitte les eaux fluviales où barbotait Vincent n’a pas d’écailles (2015), premier long remarqué par sa manière ascétique et décalée d’investir la figure super-héroïque, pour gravir les cimes immaculées du mont Blanc. Et l’acteur-réalisateur de troquer sa casquette d’acrobate contre celle, elle aussi antérieure à sa pratique cinématographique, d’alpiniste.
D’une extrême concision narrative, l’incipit du film précède une sortie de piste qui ouvre sur une page blanche. Ingénieur dans une entreprise parisienne spécialisée dans les hautes technologies, Pierre plaque tout du jour au lendemain pour installer un bivouac sur le glacier. Les appels de ses collègues et la visite de sa famille n’y feront rien : la folle équipée est envisagée comme un aller simple. Renonçant à sonder la psychologie du personnage pour s’attacher à son expérience physique, le film épouse son exploration du massif de façon très concrète, liste le matériel du grimpeur et analyse le balisage des sentiers. Rendu à une expérience sans attache, Pierre goûte à une solitude parsemée de rencontres – dont celle, chargée d’une tendresse pudique, avec Léa (Louise Bourgoin), cheffe cuisinière du restaurant d’altitude.
Ce qui s’agite sous la neige
Opposant à l’immensité du cadre la frugalité de son dispositif, La Montagne conjugue l’essoufflement existentiel de Pierre et la plénitude apparente d’un glacier lui aussi exsangue – menacé par le réchauffement climatique, sa superficie se réduit d’année en année et occasionne de dangereux éboulements. Dépliées au fil d’un tempo cotonneux, les séquences nous plongent dans un état quasi méditatif, propice à une dérive sensorielle à peine heurtée par le corps-à-corps de plus en plus intense que le personnage entreprend avec son environnement.
Car ce qui est en jeu ici n’est pas affaire de confrontation entre l’homme et la nature, mais de glissements et de métamorphoses, à la recherche d’une forme de symbiose entre ce qui palpite sous la chair et ce qui s’agite sous la neige. À la fois mystérieux et limpide, le film n’offre pas de réponse mais formule des questions qui phosphorent sur la glace, comme on toiserait son reflet déformé dans un miroir.
Mais les voies des grimpeur·euses sont encore trop balisées pour Pierre, qui ne cherche pas tant à “se perdre pour mieux se trouver” – vieille marotte d’un cinéma d’escapade pétri de développement personnel – qu’à rencontrer l’altérité radicale, à l’accueillir dans sa chair. Ni tant à affronter son destin qu’à effleurer notre devenir collectif, porté par l’espoir secret qu’au milieu de l’immensité blanche, quelqu’un, ou quelque chose, l’entendra vibrer.
La Montagne de Thomas Salvador, avec lui-même, Louise Bourgoin (Fr., 2022, 1 h 55). En salle le 1er février.
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