Sur proposition de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, Caroline Guiela Nguyen a été nommée fin 2022 à la direction du Théâtre National de Strasbourg pour 5 ans. Pourquoi on se réjouit de cette arrivée au TNS.
La polysémie est au cœur du théâtre que conçoit Caroline Guiela Nguyen, à commencer par le nom de sa compagnie, emprunté à Tristan Tzara, Les Hommes approximatifs. Ou encore le titre du livre qu’elle signe aujourd’hui, Un théâtre cardiaque, réalisé avec la complicité d’Aurélie Charon, édité chez Actes Sud. Constitué pour l’essentiel d’entretiens, chaque question ressemble aux petits cailloux blancs jetés sur sa route par le Petit Poucet pour retrouver le chemin de sa maison. Un trajet en forme d’aide-mémoire qui revient à la source de son théâtre, à ce qui le fait pulser et trembler, à ce qu’il charrie et donne en partage : cette concrétion d’émotions dont le corps se défait, en les laissant couler et s’échapper ; les larmes. Nées de l’exil qu’elle reçoit en héritage, d’une mère née à Saigon et d’un père né à Alger qui se rencontrent en France et y fondent leur famille.
“Pour moi, tout part de là. Voir les blessures. Les entendre. Se les représenter.” Se rappelant encore François Tanguy – “le théâtre, étymologiquement, est l’endroit d’où l’on regarde” –, la singularité absolue de celui de Caroline Guiela Nguyen tient en ces quelques mots récapitulatifs qui tiennent lieu de bréviaire : “Parce que notre ligne est de voir des lieux qu’on ne voit pas, des personnes qu’on ne regarde pas, des récits qu’on n’entend pas.” Une ligne absolument continue depuis ses premiers spectacles dans les années 2010, du Bal d’Emma à Elle brûle, du Chagrin à Saigon, jusqu’à Fraternité, conte fantastique, qui se joue ces jours-ci au TNS (Théâtre national de Strasbourg), où elle fit ses études et dont elle vient d’être nommée directrice, à la suite de Stanislas Nordey.
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À cœur vaillant
Un théâtre et une école pour lesquels son projet se devine déjà dans ce passage du livre où elle évoque son expérience d’intervenante à l’école du TNB de Rennes, se réjouissant de la diversité des profils des étudiants – se rappelant au passage que lors de ses études au TNS, elles n’étaient que deux élèves racisées, et encore, le mot n’existait pas et leur réalité non plus…. “En tant qu’intervenant, tu as donc cette responsabilité de faire groupe avec eux. Évidemment, tu dois toujours faire groupe mais là, il est politique parce qu’il est une promesse de ces lendemains qui attendent un peu de chanter. […] J’ai envie de prendre en considération le potentiel de ces jeunes-là et de voir comment ils nous renseignent sur le monde qui n’en finit pas de naître et qui n’en finit pas de passer à l’as au profit des textes classiques.”
Encore chavirée par la puissance de son court-métrage Les Engloutis, découvert au printemps 2022 et réalisé avec les détenus de la maison d’arrêt d’Arles avec qui elle travaille depuis plusieurs années, on se réjouit d’apprendre que son projet pour le TNS associera théâtre, amateurs, cinéma et audio-visuel à travers un partenariat avec Arte. À cœur vaillant, rien d’impossible !
Édito initialement paru dans la newsletter scènes du 17 janvier. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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