Le prestige du centre d’art pionnier et école curatoriale modèle de Grenoble s’était terni au cours de la dernière décennie. Repensée, l’institution propose une exposition inaugurale rassemblant onze artistes et évoquant “la puissance de l’amour”.
“Au cours de l’année, beaucoup de personnes m’ont demandé quelles seraient la première exposition et ma prise de position”, raconte Céline Kopp. Après dix ans passés à Marseille en tant que directrice de Triangle-Astérides, à la Friche la Belle de Mai, cette dernière troque une friche artistique pour une autre.
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Direction Grenoble, où l’on apprenait il y a un an sa nomination à la tête du Magasin, fer de lance de la décentralisation culturelle des années Malraux, que composent un centre d’art et une école curatoriale sis au sein d’une ancienne halle Eiffel de 1900. Sauf que ces dix dernières années le Magasin voyait son prestige assombri, filant vers l’extinction des feux : un bâtiment vétuste, des pouvoirs publics réticents, une direction plombée, puis absente – jusqu’à la fermeture en 2020.
Alors le coup d’envoi public déjoue la grandiloquence verbeuse et les réhabilitations pharaoniques pour parier sur le politique et le personnel, le corporel et le collectif.
“Un groupe pluridisciplinaire”
Cela sera donc La Position de l’Amour, selon un titre qui nomme à la fois la renaissance et le premier cycle de programmation. Comme un pari sur l’art malgré tout, maintenu effrontément. “Ce sont toujours les artistes qui apportent les réponses”, pose celle qui, lors de ses études au Royal College of Art de Londres, entendait citer l’École du Magasin, fondée en 1987, comme modèle du genre.
“Mon premier geste a été de faire revenir les artistes. Je me suis entourée d’un groupe pluridisciplinaire d’artistes, d’architectes et de designers. Rapidement, nous avons décidé d’utiliser l’existant pour transformer le lieu.”
La réouverture se déploie en trois gestes liés : l’inauguration des commandes artistiques (avec Cookies et Stromboli Design), la programmation de la Galerie expérimentale (Paysages de Binta Diaw, jusqu’au 5 mars) et, enfin, l’exposition collective en tant que telle. La Position de l’Amour réunit onze artistes français·es et internationaux·ales : Rebecca Bellantoni, Ivan Cheng, Ufuoma Essi, Gabrielle L’Hirondelle Hill, Célin Jiang, Valentin Noujaïm, Prune Phi, Hannah Quinlan & Rosie Hastings, Anna Solal et Alvaro Urbano.
“Il s’agit de traquer la beauté dans la douleur, de cultiver cette ambiguïté-là” Céline Kopp
De multiples lignes de force
“Ce sont des œuvres très ouvertes, avec une belle modestie dans leur engagement quotidien, précise Céline Kopp. C’est l’artiste Rebecca Bellantoni, Londonienne d’origine caribéenne, qui évoque la puissance de l’amour comme une position au monde. Il s’agit de traquer la beauté dans la douleur, de cultiver cette ambiguïté-là : comme un cri, à la fois exultation et violence.”
Parmi les multiples lignes de force, se dégagent des “types de pratiques qui, ancrées dans un hyperprésent matériologique, technologique ou naturel, se livrent par l’assemblage à une transformation très forte, par de petites pièces comme des mondes en soi pour ouvrir sur la gentrification, les épistémologies indigènes et les communautés d’échange précapitalistes. À l’instar des Spells [“sorts”] de la Canadienne Gabrielle L’Hirondelle Hill, où l’on perçoit une filiation formelle avec la Française Anna Solal.”
“Une joie arrachée à un environnement urbain difficile, sur fond d’arrivée des violences policières”
Et encore le film du jeune artiste français Valentin Noujaïm, qui plonge du côté de la Défense dans les années 1980 et raconte l’histoire du Pacific Club, cette boîte de nuit souterraine qui se remplissait de jeunes des quartiers lorsque dormaient les banquier·ères. “Un espace dont l’histoire est peu racontée, commente encore la directrice du Magasin, synonyme d’une joie arrachée à un environnement urbain difficile, sur fond d’arrivée des violences policières, de l’épidémie du sida et des ravages de l’héroïne. Toute l’exposition repose sur cette tension.” Après les chants du cygne, la contredanse des nouveaux commencements.
La Position de l’Amour, jusqu’au 12 mars, Magasin – Centre national d’Art contemporain, Grenoble.
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