Les trouvailles visuelles d’Alain Ughetto retracent l’itinéraire de sa famille d’un versant à l’autre des Alpes et rendent hommage aux immigré·es d’hier et d’aujourd’hui.
Dans l’un de ses premiers romans, Tonino Benacquista rappelait les paroles d’une chanson : “Les Italiens ne voyagent pas, ils émigrent.” Entre 1876 et 1985, ils et elles ont été plus de 27,5 millions à quitter leur pays. Évidemment pour fuir la misère, parfois le fascisme. Certain·es sont parti·es loin. D’autres sont venu·es en France. On estime aujourd’hui à 7 % le nombre de Français·es d’ascendance italienne. Mais comme tous·tes les migrant·es de tous les temps, celles et ceux-là ne furent pas très souvent bien accueilli·es. D’où le titre du film, qui rappelle qu’on trouvait cette phrase affichée à la porte de certaines auberges françaises.
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Le film d’Alain Ughetto, récompensé au dernier Festival d’Annecy, raconte l’histoire de sa famille à travers une discussion entre sa grand-mère Cesira (à laquelle Ariane Ascaride prête sa voix) et lui-même, sur une musique de Nicola Piovani (connu pour ses BO pour les films de Nanni Moretti, notamment) et surtout à l’aide de figurines animées d’une vingtaine de centimètres de haut.
Les têtes de brocoli deviennent des arbres ; les morceaux de sucre, des briques de chantier
Les Ughetto étaient originaires du petit village d’Ugheterra, dans le Piémont italien, l’une des régions d’où l’émigration a été la plus forte, à cause de conditions de vie très difficiles. Charbonniers de bois, les hommes de la famille deviennent perceurs de tunnels sous les Alpes, mineurs de fond, maçons, constructeurs de ponts ou de retenues d’eau. Il faisait froid, ils ne se nourrissaient que de polenta ou de gnocchis. Certains meurent pendant la Première Guerre mondiale ou en faisant la guerre en Afrique. Les épidémies tuent les autres. La montée du fascisme convainc les Ughetto de rester en France, puis de devenir français·es.
Le réalisateur réussit le petit miracle de raconter les drames, les peines, les jours, le labeur et la misère, et d’y mêler de l’humour, notamment grâce à ses trouvailles d’animateur : les têtes de brocoli deviennent des arbres ; les morceaux de sucre, des briques de chantier ; le carton, du bois, etc.
“On n’est pas d’un pays, on est de son enfance”
Un film amical, chaleureux, salubre, discrètement politique, qui nous rappelle en sous-main que la France, qui est la sixième puissance économique mondiale, le doit aussi à ses immigrant·es, qui l’ont construite en partie… “On n’est pas d’un pays, on est de son enfance”, dit magnifiquement Cesira à Alain, qui semble avoir retenu la leçon, avec ses petites poupées attendrissantes et ludiques. Un film pour tous·tes, pour tous les âges, pour tous les temps.
Interdit aux chiens et aux Italiens d’Alain Ughetto, avec les voix d’Ariane Ascaride, Alain Ughetto (Fr., It., Suis., 2022, 1 h 10). En salle le 25 janvier.
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