Epoustouflant dans le rôle de Baal, Stanislas Nordey capte tous les regards en se donnant corps et âme à la cavale du poète maudit. Et irradie de sa présence la première pièce de Bertolt Brecht.
On n’est pas sérieux quand on vient juste d’avoir 20 ans. A cet âge, Bertolt Brecht écrit sa première pièce qu’il dédie à la figure de Baal, un poète inspiré par les vies brûlées de Rimbaud, Verlaine et Villon.
Tout à son excitation, il imagine un titre lui permettant d’user d’un crescendo de points d’exclamation : Baal bouffe ! Baal danse !! Baal se transfigure !!! Une manière de frapper les trois coups pour annoncer son entrée dans le monde de la dramaturgie.
“Il est contemporain de qui montera la pièce”
L’auteur ne cessera par la suite de remettre sa pièce sur le métier, dès l’année suivante en 1919, puis en 1920 et 1926, pour finir par signer son ultime palimpseste de Baal en 1955, un an avant sa mort. C’est la seconde version de l’œuvre que monte Christine Letailleur. Dans la limpide traduction d’Eloi Recoing elle est très sobrement titrée Baal (1919).
Brecht dépeignait son héros comme un être intemporel en allant jusqu’à préciser : “Il est contemporain de qui montera la pièce.” Christine Letailleur en fait un éternel témoin veillant sur la culture en Allemagne. Pour le costume de Baal, elle se réfère au look des années 1970, quand Volker Schlöndorff adaptait la pièce en téléfilm avec Rainer Werner Fassbinder dans le rôle-titre.
Il fallait un acteur hors pair pour incarner le poète
Dans une scénographie qu’elle cosigne avec Emmanuel Clolus, ses décors, sous des ciels mauves et bleu pétrole, se revendiquent des perspectives stylisées du cinéma expressionniste allemand. Il fallait un acteur hors pair pour incarner le poète, Stanislas Nordey endosse pour elle la défroque de Baal avec maestria.
Il s’agit de témoigner du parcours d’une vie se réclamant d’une radicalité insoluble dans le quotidien. Pour Brecht, “Baal est une nature ni particulièrement comique ni particulièrement tragique. Il a le sérieux de la bête”. Chaque étape de son existence devient une nouvelle pièce à charge qui construit sa légende.
Baal, un astre noir
Fauteur de troubles, buveur invétéré et méchant amant, rien ne sauve l’animal qui se transforme en un prédateur sexuel pour séduire les jeunes vierges tout autant que les femmes mariées. Même l’histoire d’amour qui le lie à Ekart (Vincent Dissez), son compagnon de débauche, se termine par un meurtre en coulisses.
Au travers d’une gestuelle qu’il sait rendre inséparable de son jeu, Stanislas Nordey fabrique le hors-norme d’un personnage qui commerce avec ses contemporains sans cesser d’affirmer son altérité. C’est le côté graphique de sa présence au plateau qui fascine. Elle focalise la lumière autant qu’elle l’absorbe pour honorer Baal à la manière d’un astre noir.
Baal (1919) de Bertolt Brecht, mise en scène Christine Letailleur, avec Stanislas Nordey, Vincent Dissez, Youssouf Abi-Ayad, Emma Liégeois, Karine Piveteau, Valentine Gérard, Manuel Garcie-Kilian, Clément Barthelet, Philippe Cherdel, Fanny Blondeau et Richard Sammut, du 20 avril au 20 mai, Théâtre national de la Colline, Paris XXe