Sur l’île Séguin, la nouvelle “Seine Musicale“, vaste bâtiment dédié à toutes les musiques, veut attirer les foules. Bob Dylan ouvre le bal le 21 avril.
A l’ouest, du nouveau. Alors que la vie musicale (et culturelle) parisienne semblait endormie depuis des années du côté occidental de son périmètre, par contraste avec la densité des salles de spectacle du côté opposé, un réveil se dessine enfin aux alentours de Boulogne-Billancourt, Sèvres et l’île Séguin. Le concert de Bob Dylan, le 21 avril, précédant l’inauguration officielle, le samedi 22 avril, de la “Seine Musicale“, gigantesque bâtiment de 36 500 m2 érigé à la pointe de l’île Séguin, ayant pour vocation d’accueillir tous les types de musique (classique, rock…), forme de ce point de vue un événement : celui d’une réorientation géographique de la vie musicale parisienne. Un recentrage vers le grand ouest oublié. The Avener, programmé après le concert d’Insula Orchestra, l’ensemble fondé par Laurence Equilbey, lanceront ainsi l’épopée de ce nouvel antre de la musique parisienne.
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Pour Jean-Luc Choplin, actuel directeur du théâtre du Châtelet et président du comité de programmation de la Seine Musicale, dotée de deux salles de concert, “il s’agit d’en faire une destination, et pas seulement un lieu de concerts ».
Le département des Hauts-de-Seine n’affiche ainsi plus exclusivement sa volonté d’être la terre d’élection du business florissant ; la culture devient aussi un enjeu pour son territoire. L’extension du Musée départemental Albert-Kahn, valorisant la collection unique au monde d’autochromes rassemblés entre 1909 et 1931, l’installation prochaine d’une sculpture de Rodin sur la pointe aval de l’île Seguin, ou encore le nouveau souffle de la Cité de la céramique de Sèvres… sont des indices d’un élan culturel revendiqué. Autour et sur l’île Séguin, les bourgades des Hauts-de-Seine voudraient attirer vers elles des publics nouveaux, généralement habitués à fréquenter le nord et l’est parisien, territoire privilégié des diverses formes de culture populaire. La Seine Musicale participe ainsi, de manière centrale, de ce projet d’un redéveloppement global de l’île Seguin qui prévoit la construction de 255 000 m2 dont 84 000 m2, dédiés à la culture.
La visite, fin février, du chantier en finition de la Seine Musicale, laissait déjà entrevoir l’ambition d’un bâtiment tellement vaste qu’il épouse les formes d’une petite ville en soi, constituée d’une artère principale, et de multiples espaces fonctionnels rattachés à elle. Ses architectes, le Japonais Shigeru Ban (Prix Pritzker 2014) et le Français Jean de Gastines, déjà associés sur le bâtiment du Centre Pompidou-Metz, ont pensé le bâtiment comme un morceau de ville, selon un programme et un plan urbain conçu par Jean Nouvel pour l’ensemble de l’île (une île dont l’architecte français a toujours défendu la mémoire ouvrière et la nécessité de ne pas en sacrifier l’histoire au nom de la volonté de promoteurs).
Shigeru Ban s’explique ainsi : “Il y avait la demande du client qui souhaitait un symbole fort pour cette porte de ville à l’ouest de Paris. Il fallait également s’intégrer dans le plan urbain de Jean Nouvel conçu pour l’ensemble de l’île Seguin et dont la silhouette est linéaire. Aussi le bâtiment évoque t-il l’image d’un grand navire à travers ses solides longs murs de béton“.
Une très longue rue traverse ainsi le bâtiment de bout en bout, depuis le parvis d’entrée jusqu’à la pointe aval. Colonne vertébrale de l’ensemble, elle assure la connexion entre les six lieux principaux : Maîtrise des Hauts-de-Seine ; la Grande salle ; les espaces événementiels ; l’Auditorium ; les studios d’enregistrement et répétition et les locaux de l’orchestre résident. L’immensité de l’espace traversant le bâtiment dégage immanquablement un sentiment de brutalité un peu froide, voire un sentiment d’une architecture trop rigoriste et massive pour surprendre l’œil. On devine pourtant que la possibilité à terme, outre d’y trouver des commerces et des cafés, de voir les salles de répétition et d’enregistrement, à travers des baies vitrées, devrait lui conférer l’humanité qui lui fait encore défaut. C’est évidemment à l’usage que le bâtiment révèlera ses vertus, esthétiques et fonctionnelles.
jmd
Ce qui est déjà acquis en revanche, c’est la belle réussite de l’Auditorium, magnifique salle de concert en bois, d’où se dégage une puissante impression de plénitude architecturale et musicale. En son sein, la musique se regarde autant qu’elle s’écoute, puisqu’elle fait corps avec les murs. Une grande délicatesse, dans le traitement des matières – le plafond fait d’un assemblage de tubes de petites sections de bois, de cartons et de papier, les murs composés d’un tissage de lattes de bois – et l’agencement de l’espace, s’impose à l’œil dès les premiers instants. “Nid de bois tressé aux formes galbées“, l’Auditorium forme la signature fétiche de cette Seine Musicale.
Cette plasticité subtile de la salle s’accompagne d’un autre tour de force : la construction d’une grande voile protectrice, flottant au dessus de l’Auditorium, faite de panneaux photovoltaïques. Ces derniers montés sur rails suivent la course du soleil, d’est en ouest, tout au long de la journée. “Ainsi, selon l’heure de la journée, le bâtiment est totalement différent notamment à cause des ombres sur l’enveloppe de verre. Notre réponse par rapport au site et au programme était donc d’utiliser la technologie environnementale – traduite à travers la voile – comme symbole de l’île Seguin et de l’entrée dans le XXIe siècle“, précisent les architectes. Des coursives offrent aussi des vues sur Meudon, Saint-Cloud, Sèvres, Paris et Boulogne-Billancourt.
Dehors, plusieurs promenades sont proposées aux visiteurs, dans un jardin de 7 410 m2 qui recouvre la Grande salle et dont la végétation reprend celle des côteaux de la Seine. Promeneurs ou spectateurs, la Seine Musicale veut attirer tous les profils. L’ancienne forteresse ouvrière de Renault laisse place à une nouvelle forteresse musicale. Avec Bob Dylan comme premier parrain, on ne peut que lui espérer de beaux lendemains : des lendemains qui chantent.
Jean-Marie Durand
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