La Gaité Lyrique consacre une exposition à l’aéroport, cette “destination de choix dans laquelle vous transitez sans jamais vous y rendre“. Miroir de notre époque, cet hyper-lieu dessine aussi les contours d’une sorte de “Ville-Monde“ invisible. Attachez vos ceintures.
C’est dans les WC de la Gaité Lyrique que commence l’exposition Aéroports / Ville-Monde. On y entend ce bruit sourd, caractéristique des cabines sous pression. Impression étrange d’une familiarité pour le moins saugrenue en ces lieux. Puis une voix surgit : « Mesdames Messieurs, nous vous rappelons que ce vol est non fumeur ».
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Hiraki Sawa, Dwelling
Une « carte d’embarquement » est proposée au visiteur à l’entrée de l’exposition. “L’aéroport est ici vu comme un laboratoire permanent de la vie contemporaine, comme le seuil d’une métropole invisible“ y explique le commissaire d’exposition Franck Bauchard. La première salle nous plonge dans l’univers ultra-sécuritaire qui caractérise l’espace aéroportuaire depuis le 11 septembre 2001 : rubans des files d’attente, portail de sécurité et autres dispositifs de flicage. Sauf qu’ici, tout est détourné de sa fonction première. Les rubans du système de gestion de file d’attente sont recomposés par l’Allemand Matthias Gommel, dans Untitled (Passage). Ils forment un dédale, dans lequel on dérive en écoutant des extraits d’une chanson de marin anglais, « A Life on the Ocean Wave », dont les paroles sont imprimées sur ces même rubans.
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A notre droite, un gigantesque panneau des départs et arrivées (Dictionnary of Imaginary Places de la Slovène Jasmina Cibic) annonce des vols dont les destinations, lieux fictifs, sont issus du Dictionnaire des Lieux imaginaires d’Alberto Manguel et Gianni Guadalupi. On arrive devant l’inévitable portique de sécurité. Une caméra nous filme tandis qu’on y pénètre, projetant notre portrait de l’autre côté. Physiognomic Scrutinizer, du Néerlandais Marnix de Nijs, est équipée d’un logiciel vidéo d’analyse biométriqu. L’installation “sonde les traits du visage et les caractéristiques similaires à 150 personnalités, sélectionnées pour leur caractère controversé: meurtrier sanguinaire du XVIIIe siècle, écrivain dépressif, etc“ La machine nous identifie comme Simone Veil, “dangereuse activiste“, qui “refusa un temps de s’alimenter“ égrène une voix robotique façon Big Brother.
Plus loin, un téléphone portable semble lui aussi nous observer. Seelonce Feenee de l’Américain Eli Commins est un dispositif mettant en scène l’interactivité des réseaux sociaux. Un assemblage d’images de voyageurs, perdus dans des aéroports aux quatre coins du monde, auxquelles s’ajoute les infos enregistrées par le smartphone à travers lequel l’artiste nous observe depuis les Etats-Unis. Le Britannique Jonathan Monk surprend et amuse au détour d’une salle avec son Waiting for Famour people, autoportrait noir et blanc où il attend un passager arrivant, un panneau « Marcel Duchamp » entre les mains.
Jonathan Monk
Aussi drôle mais d’un humour noir, les types plantés sur une passerelle dans la vidéo de l’Albanais Adrian Paci (Centro di Permanenza Temporeana) attendent en file indienne un avion qui n’arrivera jamais. L’Ukrainienne Masha Shubina peint ses autoportraits, hyper sexualisés et politisés, sur les plaquettes de consigne de sécurité. Joseph Popper (Royaume-Uni) recrée le poste de contrôle d’un drone avec trois écrans et un moniteur, sur lesquels sont diffusées des images du bombardement du Grand Hôtel de Brighton par l’IRA en 1984. Une illustration subtile et tragique de la théorie de Paul Virilio sur les rapports troubles entre guerre et cinéma, images de bombardements vus du ciel et début du 7 e art.
Kervin Rolland
On citera aussi le Couloir aérien de Cécile Babiole, installation sonore qui laisse entendre le passage des avions, calculés en temps réel ou encore les avions miniatures volant dans l’appartement d’Hiraki Sawa, dans son très poétique film Dwelling. Mais ce sont deux œuvres qui, au final, s’imposent par leur aptitude à porter l’imaginaire aéroportuaire à son apogée tout en ouvrant vers de nouveaux horizons. Exposé page après page sur une table, le livre illustré Psychanalyse de l’aéroport international de Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon pousse les phobies et phantasmes liés à l’hyper-espace aéroportuaire jusqu’à leur points ultimes : “transparence“, “angoisse de la contamination“ ou encore “sécurité totale“, (avec une version sado-maso du contrôle des corps)
. Sexcloud, Meet at the airport enfin, dans une dimension plus joyeuse et érotique, transfigure l’aéroport en utopie sensuelle. Conçue par deux jeunes diplômées d’architecture, Fanchon Bonnefois et Camille Demouge, l’œuvre se décline sous forme de plans de bâtiments futuristes, croquis, dessins 3D. La zone internationale y de transit devient ce lieu merveilleux où, en reprenant les étapes successives du vol (l’entrée, l’attente, etc.) le voyageur est emmené progressivement à ressentir des sensations physiques jusqu’à s’abandonner au désir charnel.
Un univers à mi chemin entre les phalanges de Charles Fourier et la “métropole invisible“ qu’est, selon J.G Ballard, l’aéroport. Un espace doté de végétations luxuriantes qui évoquent aussi le “tropicalisme“ cher à Dominique Gonzalez-Foerster. L’expo se poursuit au second étage où l’on peut consulter des ouvrages sur le sujet, à commencer par le fameux Non-lieux de Marc Augé. Seule bémol à ce propos, on regrette que le commissaire d’expo ne se soit pas inspiré de la notion d’hyper-lieux telle que le conçoit Michel Lussault, cette “dialectique entre le global et le local“, qui caractérise notamment l’espace aéroportuaire du XXIe siècle.
Aéroports / Ville-Monde, exposition du 23 février au 21 mai, Gaité Lyrique, www.gaite-lyrique.net
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