En Seine-Saint-Denis, un nouveau tiers-lieu artistique et culturel peaufine ses bases. B93, le collectif qui porte le projet, existe déjà bel et bien : plutôt que d’attendre, ils et elles ont opté pour des formes furtives et expansives. Dans le cadre de Mondes nouveaux se tiendra au Sample à Bagnolet l’événement de préfiguration : B93 PREQUEL. Avec en ligne de mire, l’autodéfinition d’un territoire plus souvent fantasmé qu’écouté.
Cela serait comme un mot de code, un signe de ralliement que l’on se passe sous le manteau. Une rumeur insistante, également, dont le bruissement n’aura fait qu’aller croissant, pour se propager par cercles concentriques. B93 donc, pour une aura de mystère, un parfum de désidentification et, surtout, une curiosité piquée au vif.
S’avançant à pas de loup, peaufinant son coup, le collectif B93 s’est implanté depuis bientôt deux ans dans un hangar abandonné en Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris. Entre La Courneuve et Drancy se trouve l’un de ces interstices urbains encore en déshérence, mais déjà en attente : périph’ et terrain vague, bientôt le métro et les JO.
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Vers ce non-lieu indéterminé encore ouvert à tous les possibles, certain·es convergent déjà ponctuellement et furtivement : pour se retrouver, faire la fête, laisser monter une énergie collective, puis se dissiper au petit matin. Durant le confinement, le hangar en question aura prêté ses murs à certaines de ces fêtes, pas forcément légales, d’obédience rap ou rave.
Les prémisses de B93 : de la fête aux arcanes du ministère
À l’origine, les initiatives provenaient du collectif Good Dirty Sound. Le lieu était connu par certain·es, dont une première population de graffeur·euses, comme Berlin93. Puis, autour du lieu, entre ses murs, deux curatrices et programmatrices, également DJ et organisatrices de soirées, ont fini par s’y rencontrer. Et l’idée d’un projet plus pérenne, sous son appellation plus ouverte B93, a commencé à faire son chemin.
“Il y a pas mal de storytelling dans tout ce projet. Lors d’une fête, l’un des organisateur·rices a compris que je faisais des expositions. Ça a piqué sa curiosité, on a commencé à parler d’exposition et d’ouvrir un lieu. Seulement, il n’y avait pas de moyens, c’était délabré, sans eau, électricité, ni accès PMR”, raconte Inès Geoffroy, curatrice en charge des expositions à La Villette.
En juin 2021, elle se saisit du programme de soutien à la jeune création Monde Nouveaux et dépose un dossier : “On avait non seulement besoin de budget, mais aussi d’une reconnaissance du ministère pour faire avancer les démarches du bail précaire auprès de la mairie de Drancy.” Au départ, l’idée était de réaliser une grande exposition dans les lieux, pour marquer son inauguration.
Et puis, Laure Togola s’est jointe au projet. “Je travaille également sur des expositions, notamment Hip-hop 360 à la Philarmonie de Paris où j’étais chargée de production, c’est ainsi que l’on s’est connues. Très vite cependant, nous avons commencé à redéfinir le projet. D’une part, parce que lieu n’aurait pas été prêt, et qu’il allait nous falloir avancer étape par étape. Et d’autre part, parce que nous voulions éviter d’arriver avec un discours institutionnel surplombant.”
Une co-construction par des cartes blanches aux artistes
À elles deux, elles forment aujourd’hui le noyau dur de B93, constellation mobile de six personnes “où chacun·e fait ce qu’il peut, selon son expertise, ses envies et son emploi du temps, porté par une énergie de squat”. Si Inès Geoffroy possède davantage une expertise venue de l’art contemporain, et Laure Togola de la musique et de la culture hip-hop, elles convergent autour d’un fonctionnement artistique libre.
Surtout, elles ont en partage une vision. La co-construction du futur tiers-lieu se fera autour de cartes blanches étendues à des artistes, qui seront invité·es à raconter le lieu chacun·e à sa manière, avec ses utopies, ses évocations, ses histoires fictionnelles. Leur donner la parole, pour qu’ils et elles définissent le lieu et son devenir empiriquement, par une composition polyphonique.
“Nous ne voulons pas faire le 104 du 93, cela aurait reproduit les travers que l’on trouve déjà dans le milieu culturel, et contre lesquels nous souhaitions nous mettre en opposition. Dès lors que nous avons réajusté les phases du projet, nous sommes convenues que le lieu allait se définir par son projet artistique, et par un travail sur ses archives, telles que racontée par la voix des artistes”, expliquent-elles à l’unisson.
Lors de notre entretien mi-décembre, le premier duo d’artistes venait d’entreprendre le travail dans les lieux, afin d’en recueillir les archives et de les faire basculer vers sa transformation spéculative et future. Silina Syan et Rayane Mcirdi, jeunes artistes respectivement diplômé·es de la Villa Arson à Nice et des Beaux-Arts de Paris, ont en commun de mener des pratiques de photographie et de vidéo attentives à la collecte de récits, tout en étant actuellement pensionnaires aux Ateliers Artagon à Pantin, situés sur le territoire.
Quatre journées pour insuffler le premier souffle au projet
Par rapport à Mondes Nouveaux, B93 est l’un des projets les plus transdisciplinaires et hors cadres. L’un des plus ambitieux également, par son échelle temporelle et son énergie collective expansive. “Au début, on se concevait comme commanditaires et gestionnaires, alors que maintenant, nous sommes un collectif qui fait de l’artistique auquel on s’inclut. Nous avons eu des suivis avec Chloé Siganos, en charge des spectacles vivants, ou Rebecca Lamarche-Vadel, pour les arts visuels, qui se sont montrées très ’empouvoirantes’.”
“Ensuite, lorsque nous avons décidé de délocaliser le projet au Sample, qui est aussi un tiers-lieu du 93 situé à Bagnolet, pour sa part déjà structuré et conventionné. C’est cette partie-là qui sera réalisée dans le cadre de Mondes Nouveaux spécifiquement, avec également l’identité visuelle et le logo conçus par le studio H5, et les visuels, signés de la photographe Matcha.” Il s’agira d’une vitrine du savoir-faire de B93, manière de doter le projet d’une existence concrète sans attendre l’inauguration de ses murs en dur.
B93 PREQUEL, donc, prendra la forme d’une exposition et d’un événement au fil de quatre journées, du 19 au 22 janvier : dans l’espace galerie, la présentation travail des artistes Silina Syan et Rayane Mcirdi, et parmi les événements, une discussion menée par Horya Makhlouf, des performances de Seumboy Vrainom :€ ou Hawa Sarita et des live et DJ sets du collectif Good Dirty Sound.
“En toile de fond, on voit actuellement beaucoup de run-spaces [lieux autogérés], comme Le Wonder, qui ont du mal à trouver des espaces. Pour nous, il s’agissait de ne pas attendre le bail précaire pour commencer à faire exister notre projet artistique, car nous pouvons d’ores et déjà faire émerger des problématiques que l’on a détricotées en partant du lieu mais qui le dépassent”, précisent Inès Geoffroy et Laure Togola.
Les chemins de l’émergence de la culture urbaine
Les problématiques en question concernent en plein les logiques de récupération et d’instrumentalisation de la culture urbaine, à la fois par sa représentation au sein d’institutions artistiques exogènes et l’effet de mode de zones périurbaines parisiennes, devenues vectrices d’attraction pour des événements temporaires pilotés depuis les centres.
Alors, le temps court s’allie au temps long, tout en gardant une attention au tissu local vivace d’entités culturelles œuvrant déjà depuis la Seine-Saint-Denis. D’où, en ligne de mire, un projet qui sait refléter l’un et l’autre, par une autodéfinition attentive à témoigner de cultures déjà présentes, vivaces, bien que rarement archivées – et un second versant de création de lieu orienté vers la pérennisation.
Et les intéressées, parlant au nom du collectif, de conclure : “Les personnes qui vivent sur le territoire n’ont pas envie de projets éphémères. L’option de partir ailleurs lorsqu’arrivera la gentrification n’existe pas pour elles. Alors, nous voulons construire un lieu qui permette de se projeter, d’amener une autre vision de l’art, et où l’on puisse se sentir bienvenu·es.”
B93 LE PREQUEL, du 18 au 22 janvier au Sample à Bagnolet
Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Mondes Nouveaux, le programme de soutien à la jeune création du ministère de la Culture.
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