Saga intime et familiale, la création du scénariste de “Doctor Foster” mélange le soap avec l’inspection minutieuse des désirs contemporains. Une leçon.
La british touch a encore frappé. On aimerait s’en lasser, on essaie parfois autre chose, mais rien n’y fait : aux premières images, une attraction fatale s’enclenche, même si le spectacle n’a rien d’exceptionnel au vu des règles contemporaines de la fiction choc et chère.
Créée par Mike Bartlett, le scénariste de l’excellente Doctor Foster, – dont il s’agit même d’un spinoff, car des personnages de la série originale reviennent à un autre moment de leur vie -, Life raconte une histoire franchement banale, d’un classicisme pleinement assumé : les vies qui se croisent et se frôlent des habitant·es d’un immeuble de Manchester. Sauf que toutes et tous se trouvent à un moment crucial de leur existence et se posent la question de tout envoyer en l’air. Comment on bascule dans une autre dimension, comment on évite de le faire, comment la vérité d’un désir émerge subitement, à tous les âges de la vie… Ces six épisodes prennent tout à coup une ampleur délicate quand on en saisit l’ambition.
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Intensité des émotions
Il y a Gail, une femme de 70 ans en pleine interrogation sur la manière dont elle est traitée par son mari depuis 50 ans (moqueries souriantes, rabaissements en tous genres), David, un prof d’anglais récemment veuf en pleine exploration des secrets de celle qu’il aime encore. On y croise aussi Belle, une célibataire en proie à l’alcoolisme et à des soucis familiaux, ou encore Hannah, une jeune femme enceinte qui ne sait plus trop avec qui élever son enfant à naître.
Acteurs et actrices se jettent à corps perdus dans ces archétypes, d’autant que Mike Bartlett saisit les sujets contemporains de front (notamment autour des parcours de vies de femmes) avec une certaine finesse, en les liant à des enjeux éternels : la fidélité, à soi-même et à l’autre, le manque d’amour, la tentation de la fuite… Il travaille aussi à partir d’un principe imparable : saisir le flux des émotions au moment de leur plus forte intensité. Cela donne des scènes sans “gras”, où le moindre enjeu devient quasiment une question de vie ou de mort, dans les plis des intimités d’hommes et de femmes à qui nous avons accès de manière fulgurante. À chaque minute de fiction ou presque, un dilemme se dessine, une certitude s’effondre, un personnage pleure, un autre danse.
Masterclass
Life ressemble à une masterclass de l’esprit fictionnel britannique, centré sur les flux et reflux de personnages socialement identifiés (ici, plutôt la classe moyenne supérieure) dont la fragilité reste une donnée de base. Elle ressemble aussi à une version adulte et sophistiquée de ce qui constitue les fondations télévisuelles du pays depuis une soixantaine d’années, les soaps. Ceux-ci demeurent encore aujourd’hui l’alpha et l’omega de toute entreprise sérielle dans le royaume. Malgré l’éparpillement du public renforcé par l’apparition des plateformes, ils sont toujours largement populaires, imprégnant la société en profondeur. Mike Bartlett n’en a jamais écrit. Il vient plutôt des planches et notamment du prestigieux National Theater, où il a longtemps fait office de dramaturge. Mais c’est comme si tout scénariste anglais naissait avec ce sens du retournement permanent et cet amour des vies simples.
Remplie de petites flèches émotionnelles, Life nous attrape en quelques minutes pour ne plus nous lâcher.
Life, créée par Mike Bartlett – Disponible sur Arte – avec Alison Steadman, Peter Davidson…
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