Énervés et habités, les Écossais continuent de transcender les styles d’une manière inédite et envoûtante.
Qu’elle parle de sexualité ou d’identité musicale, l’humanité éprouve le besoin de ranger dans des cases, quitte à raboter sévèrement l’objet de ce classement à l’arrache. L’étiquette “hip-hop” a été collée de force sur le dos des membres de Young Fathers. C’était pratique, paresseux – que feraient trois hommes avec un micro, sinon rapper ? – et trompeur.
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Certes, en Europe, Dead (2014), leur premier long, est sorti chez Big Dada, filiale de la maison anglaise Ninja Tune, célèbre pour avoir révélé des MC tel·les que Roots Manuva, Kae Tempest ou Wiley. Mais Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole et G. Hastings ont trop d’idées et d’envies de liberté pour obéir aux formats édictés par les autres.
Du LCD Soundsystem en plein doo-wop ambient
C’était déjà vrai et évident avant, ça saute encore plus aux oreilles avec ce quatrième disque – le premier depuis Cocoa Sugar (2018) – furieux et joyeusement déboussolant. “L’album est comme lorsque votre ventre est plein, que vous regardez la nuit tomber sur un endroit brûlant, rural et marécageux. Le sol est toujours chaud. Un rythme commence. Cela va durer jusque tard.” Si elle sonne énigmatique, cette description, lâchée en octobre sur les réseaux par les musiciens, possède sa part de vérité.
On les imagine dans leur cave transformée en studio pour se livrer à des séances d’exorcisme, roulant sur le sol pour mieux hurler, martyrisant leurs machines et leurs instruments comme si chaque note devait être la dernière, la plus importante. La fin du monde est proche, la Terre crève ? Alors, hurlons à la lune avec Young Fathers, conjurons les démons modernes – capitalisme, extrémisme, etc. – avec leurs enivrantes incantations.
Young Fathers fait naître des images improbables et délicieuses
Mêlant leurs voix comme si elles formaient une chorale sauvage, les trois affranchis ne tiennent pas en place. Enfiévrés et remuants comme s’il s’agissait de réaliser un marathon créatif en un minimum de temps – aucun morceau ne dure plus de 3 min 40 –, les dix titres d’Heavy Heavy sont portés par une irrésistible pulsion de vie et défient le vide.
Rice, Sink or Swin ou Holy Moly empruntent au punk-rock son énergie, ses coups de boutoir et ses potards dans le rouge pour mieux attiser la transe. Adepte de métissages audacieux, Young Fathers fait naître des images improbables et pourtant délicieuses – Tell Somebody évoque Sigur Rós se mettant à la soul, quand Geronimo sonne comme LCD Soundsystem en plein doo-wop ambient. En clôture, la complainte Be Your Lady finit sur un bouillonnement electro, symbole d’un groupe jamais posé.
Heavy Heavy (Ninja Tune/PIAS). Sortie le 3 février. Concert le 24 février à Paris (Élysée Montmartre).
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