Les mondes aquatiques obsèdent les artistes contemporains, qui explorent dans les abysses les métamorphoses du présent. Une exposition au Centre international d’art et du paysage explore ses effets aqueux.
Il suffirait d’être attentif à l’actualité de l’art pour se convaincre des effets suscités par les transformations de la vie aquatique sur l’écosystème, et par voie (maritime) de conséquence, sur la vie des hommes.
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Du grand retour sur la scène artistique de Damien Hirst au Palazzo Grassi à Venise avec son exposition Treasures from the Wreck of the Unbelievable (“Trésors de l’épave de L’Incroyable”), mettant en valeur le corail (qui disparaît peu à peu à cause du réchauffement des océans), à l’exposition La Vie aquatique présentée au Mrac de Sérignan, en passant par l’exposition du Centre international d’art et du paysage, sur le lac de Vassivière, dans le Limousin, Des mondes aquatiques, les fonds sous-marins obsèdent de nombreux artistes.
Ce tropisme aquatique tient moins de la volonté de célébrer les formes éternelles des fonds sous-marins que de celle de sonder ce qui s’y joue (et déjoue) aujourd’hui : autant une mythologie ancestrale qu’une nouvelle inquiétude quant à notre devenir. Sans les mers, que deviendra-t-on ? A quoi ressemblera notre terre sans le soutien des bas-fonds ?
Le projet lancé par le Centre international d’art et du paysage pourrait paraître logique lorsqu’on mesure, sur place, c’est-à-dire sur une île au milieu d’un lac, la place de l’élément aquatique dans l’environnement. Ici, le parc de sculptures riche de 60 œuvres d’art public, implantées au bord du lac depuis 1983, dont quelques sublimes pièces d’Andy Goldsworthy, Michelangelo Pistoletto ou Olivier Mosset, rappelle combien l’eau fait corps avec l’art, les vagues avec l’âme.
© Adagp, Paris
Vue de l’exposition « Des Mondes aquatiques #1 » au Centre international d’art et du paysage, île de Vassivière, 2017
© Photographie : Aurélien Mole
Mais, comme le souligne Marianne Lanavère, commissaire de l’exposition Des mondes aquatiques, montée en association avec le Frac Aquitaine, il s’agit ici surtout d’interroger “les formes des relations entre l’humain et les milieux aquatiques, depuis le face-à-face du pêcheur solitaire avec son poisson, jusqu’au prédateur industriel prélevant de l’océan des quantités énormes”.
De telle sorte que l’exposition emprunte autant des sentiers politiques, en explorant la question de l’économie de la mer ou de la pêche industrielle, que des chemins plus métaphysiques, anthropomorphiques et poétiques, en abordant la question des métamorphoses des êtres de l’eau, des figures humaines et des objets. Comme chez Ovide, les métamorphoses obsèdent beaucoup d’artistes contemporains (on retrouve cette fixation dans la dernière exposition de Damien Hirst à Venise, autre ville plongée dans un monde aquatique).
A Vassivière, les œuvres d’artistes comme Mathieu Mercier, Caroline Achaintre, Yves Chaudoüet, Peter Fend, Tetsumi Kudo, Daniel Schlier, Michael E.Smith… s’engouffrent dans les abysses de ces transformations, de ces récentes disparitions d’espèces et nouvelles mutations animales et végétales à cause notamment des produits chimiques et toxiques (polymères, médicaments…) jetés à l’eau et dans les nappes phréatiques.
Comme en témoigne l’artiste Tetsumi Kudo, déjà sensible à la catastrophe d’Hiroshima, la catastrophe de Fukushima marque de ce point de vue un tournant majeur dans l’histoire de la figuration de notre monde abîmé. Des poissons hermaphrodites à des créatures génétiquement modifiées, l’exposition met en lumière un nouvel imaginaire de l’hybridité entre éléments humains et formes aquatiques ; une sorte de pays transgenre, presque informe, voire difforme, dont l’univers maritime a toujours été un réceptacle de choix (les monstres lacustres…).
Vue de l’exposition Des mondes aquatiques #1 au Centre international d’art et du paysage, île de Vassivière, 2017
© Photographie : Aurélien Mole
Empruntées aux collections du Frac Aquitaine, du Frac-Artothèque du Limousin et du Frac Poitou-Charentes, complétées par les collections du Mudam Luxembourg et de Lafayette Anticipation – Fonds de dotation Famille Moulin, ainsi que d’une nouvelle production commandée à l’artiste Suzanne Husky, les diverses œuvres produisent un effet assez insaisissable, où à l’opacité des abysses (cf. Le Poisson des abysses d’Yves Chaudouët, qui se révèle soudainement, dans un halo fluorescent, à l’œil plongé une salle obscure) se mêle l’étrangeté d’une disparition, celle de l’holothurie (un concombre des mers) de Mathieu Mercier, dont le cube rempli d’eau de mer restait vide, ce matin-là. Le concombre s’était égaré dans les limbes des planctons. Encore un mystère du monde aquatique dont les êtres humains peinent encore à saisir les tours (et détours) de magie.
Peter Fend / Ocean Earth – Offshore Soil Rig, 1993, Prototype pour la culture de l’algue Macrocystis
Structure PVC, corde, métal, tissu, plâtre, Dimensions variables, Collection Frac Poitou-Charentes
Vue de l’exposition Des mondes aquatiques #1 au Centre international d’art et du paysage, île de Vassivière, 2017
© Photographie : Aurélien Mole
Au terme d’un parcours marqué entre autres par l’installation de Peter Fend, Offshore oil rig (Plate-forme pour un territoire en haute-mer), produite par le Fonds régional d’art contemporain de Poitou-Charentes (un prototype conçu pour récolter des algues marines de surface, capables de photosynthèse pouvant être transformés en biogaz, source d’énergie propre), le visiteur plonge dans le fascinant monde des petites sirènes, tel que Suzanne Husky, artiste franco-américaine, le consigne dans un film étonnant Sirène et indienne, commandé par le centre d’art pour cette exposition : le portrait de jeunes filles américaines qui se transforment en sirène, au premier degré, et vont jusqu’à faire le spectacle in situ, c’est à dire sous l’eau, dans des aquariums géants devant des visiteurs happés par cette image de Disney réincarnée.
Ces quelques centaines de sirènes professionnelles aux Etats-Unis avouent confusément que c’est le désir d’un “corps impossible”, c’est-à-dire fantasmé jusque dans le déni de soi, qui les conduit à vouloir vivre sous l’eau, loin des hommes, avec des écailles pleines le corps et une longue palme. Un symptôme de plus de l’inquiétante étrangeté de la (con)fusion des mondes aquatiques et des névroses terrestres. A la surface, au fond, ou au-dessus de l’eau, les êtres vivants entretiennent avec les mondes aquatiques des affinités de plus en plus humides et furieuses.
Comme à Sérignan, cette exposition à Vassivière creuse cette nouvelle relation des hommes à leur environnement aquatique, au cœur de laquelle s’invente sous nos yeux embrumés un nouveau continent, entre mer et terre : une noyade conjurée par la puissance des fantasmes. Splash.
Des mondes aquatiques. Centre international d’art et du paysage, sur le lac de Vassivière. Jusqu’au 11 juin (du mardi au dimanche, et les jours fériés, de 14 h à 18 h)
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