La comédie de l’Anglaise Michaela Coel revient avec une deuxième saison où son héroïne vierge se débat avec ses phobies. Du rire politique et subversif.
Dans le spectre toujours plus cool et inventif de la série de vingt-six minutes, qui compte des perles comme Fleabag, Atlanta, You’re the Worst et quelques poignées d’autres réussites singulières à l’image de Better Things ou Transparent, Chewing Gum se démarque d’abord par son choix de rejeter la “dramédie” en proposant une pure comédie sautillante, voire cartoonesque. Un mode d’expression peu répandu ailleurs que dans les sitcoms.
Or la création de la Londonienne Michaela Coel n’a rien d’une sitcom, si on s’attache à l’image historique du genre. Et elle prend au corps des sujets on ne peut plus sérieux.
Immigrée ghanéenne
La presque trentenaire avait d’abord écrit et mis en scène un premier projet intitulé Chewing Gum Dreams, pièce de théâtre dramatique centrée sur une jeune fille noire de 14 ans prénommée Tracey.
Une exploration romancée de la propre expérience de Coel, qui a grandi dans le quartier de Tower Hamlets, à l’est de Londres, avec sa mère immigrée ghanéenne et ses sœurs, se faufilant dans un système d’éducation dominé par les Blancs – elle a fini par obtenir son diplôme d’une école de musique et d’art dramatique, seule femme noire à y parvenir depuis cinq ans.
Education religieuse
Quand Channel 4 a accepté de mettre à l’antenne une adaptation télé de sa pièce, Michaela Coel a transformé le drame en comédie et donné une décennie de plus au personnage.
Dans Chewing Gum, Tracey est une jeune femme de 24 ans (interprétée par Coel, qui écrit aussi tous les scénarios et frôle bien sûr ici l’autofiction) dont l’éducation religieuse trop stricte a provoqué un genre de court-circuit : elle est restée vierge jusqu’à maintenant et promène son corps élastique – comme un chewing gum – et son intensité permanente dans un monde qui ne sait pas trop quoi faire d’elle.
Hymen
La deuxième saison, qui vient d’être mise en ligne en France par Netflix, la montre dans sa quête obsessionnelle pour enfin rompre son hymen, quête que la créatrice n’hésite pas à pousser jusqu’au malaise.
Que ce soit dans un sex-club (où elle est la seule à ne pas baiser) ou dans une situation d’intimité plus classique avec un homme qui se termine avec une bonne dose de vomi, Tracey/Michaela déploie un rapport contradictoire et agité à son propre corps, qu’elle n’hésite pas à déformer et à sublimer selon le moment.
Phobies
Pour ce personnage tendu, il n’est jamais question de plaisir. Ce mur préorgasmique sur lequel elle bute fait le fond de la série : un portrait de femme prise dans les rets de ses propres phobies, qui utilise son corps comme un matériau à sculpter jusqu’à lui donner une forme qu’elle peut accepter.
L’autre intérêt de Chewing Gum (à laquelle on peut reprocher tout de même un manque de souffle narratif : Coel est plus douée pour tricoter des scènes fortes que pour inventer un récit au long cours) tient à sa description transgressive de la communauté noire londonienne.
Portes du paradis
Il n’y a ici que peu de personnages blancs et la conscience très nette de la créatrice de la responsabilité qui est la sienne d’inventer une représentation à la fois poétique et politique du milieu dans lequel elle a grandi et qu’elle se permet de fantasmer.
Que ce soit sa mère et sa sœur, ses meilleures amies et les connaissances du quartier, son proche ami gay, Coel fait exister un monde à majorité féminine et noire peu représenté auparavant et souvent saisissant. Le paradoxe, puisque paradoxe il y a, tient au fait que ces personnages ont pour la plupart droit au bonheur et au plaisir, tandis que Tracey, elle, reste aux portes du paradis. Peut-être le sujet d’une troisième saison ?
Chewing Gum saison 2, Netflix