Cinq mois après nous avoir retourné coeur et cerveau à l’Espace B, Natalie Mering ramenait son alias Weyes Blood au Point Éphémère pour un concert magistral.
Weyes Blood est un génie. Voilà, c’est dit, tout simplement. On pourrait s’arrêter là, s’il n’y avait le plaisir de chercher à le capter. De lui donner une couleur, un contour, une forme. De se l’approprier à l’aide de mots. Weyes Blood fait partie de ces artistes protéiformes, mouvants, presque insaisissables, naviguant dans des eaux troubles où se mêlent premier et second degrés, références multiples, passé, présent, futur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sur la scène du Point Éphémère ce mardi 11 avril, faite de chair et de sang, Natalie Mering dégage pourtant quelque chose de féerique, comme tout droit sortie de la pochette de son troisième album, le magistral Front Row Seat To Earth, dont on vous a déjà beaucoup, beaucoup, beaucoup parlé. Son visage délicat, presque adolescent, est encadré de bandeaux de cheveux châtains, qu’elle dégage régulièrement, dévoilant d’éclatantes boucles d’oreilles dorées. Elle porte ce même costume en satin vert, inclassable. Sa voix est grave, presque rauque. Elle avale ses mots, si bien qu’on peine à comprendre les vannes qu’elle distille tout au long de son concert, entre deux chansons qui arracheraient des larmes au plus insensible d’entre nous.
La voix incroyable de @WeyesBlood qui ne perd rien de sa puissance en live @PointEphemere pic.twitter.com/TMwyjIVhRG
— Carole Boinet (@CaroleBoinet) 12 avril 2017
De la cuvette des toilettes à Kate Bush
Weyes Blood est un vaste paradoxe. Bourrée d’autodérision, capable de se laver les cheveux dans une cuvette de toilette pour une story Instagram de Pitchfork et d’être super pote avec Ariel Pink et Drugdealer – deux artistes dont la zinzinerie n’est plus à démontrer – elle conserve une gravité, un sérieux, et un lyrisme déstabilisants lorsqu’il s’agit de délivrer ses morceaux à la symphonie si moderne et pourtant si surannée.
Résultat : les yeux sont humides, les visages émus, les poings serrés. Le silence est d’or. Le concert prend des allures de messe, avec Weyes Blood en prêtresse à la Joan Baez, encadrée de ses fidèles musiciens tapis dans l’ombre pour mieux la laisser briller, guitare acoustique en bandoulière, ou mains sur le synthé.
Weyes Blood ce génie ❤ @PointEphemere pic.twitter.com/G2d9ttn2ss
— Carole Boinet (@CaroleBoinet) 12 avril 2017
Des reprises comme autant de renaissances
Chaque fin de morceau est ponctuée d’un tonnerre d’applaudissements. La Californienne offre deux rappels et deux reprises : le Moonlight Shadow de Mike Oldfield, interprété dans sa version originale (1983) par l’Ecossaise Maggie Reilly. Et, surtout, l’incroyable Vitamin C de CAN, qui explose ici d’une émotion si forte qu’on pourrait presque tendre la main et la toucher du bout des doigts. Le public se détend un peu, reprend les paroles, pousse quelques cris d’approbation. C’est le climax de ce concert magistral.
Weyes Blood n’a jamais caché son amour des reprises. Son EP avec Ariel Pink, Myths 002, sorti fin janvier, en contenait lui aussi deux : l’incestueuse Daddy, Please Give A Little Time to Me des Sisters (introuvable sur Youtube, on vous laisse commander le vinyle) et la délicieuse On Another Day des Anglais post-punk Sad Lovers and Giants.
Loin d’utiliser la cover comme cache-misère, la jeune femme s’en sert pour faire exploser sa créativité. Pas de copier-coller ici mais une volonté de relecture, de réappropriation, de renaissance. La digestion du passé pour mieux créer un présent toujours évanescent, friable, le tissage d’un lien entre l’avant et l’après. Or, le plaisir de reconnaître le squelette d’une mélodie derrière une nouvelle parure, de discerner le familier derrière ce qui nous semblait étranger est tout simplement jouissif.
{"type":"Banniere-Basse"}