Le réalisateur Alain Gomis propose un documentaire, réalisé à partir de rushes inédit d’une émission de 1969, sur Thelonious Monk.
Thelonious Monk, tout le monde le connaît (1917-1982). Fin 1969, il enregistre pour la télévision française une émission à l’occasion d’un concert qu’il est venu donner à Paris. Monk est l’un des plus grands musiciens que la Terre ait portée. Bien au-delà du jazz. Sa connaissance de l’harmonie, ses inventions, son style si singulier (abrupt, soudain sirupeux, nous ramenant parfois à la “pompe” des premiers pianiste de ragtime et de jazz, tout en ruptures de tons, en plaquage de notes comme un batteur, etc) sont incroyables, inépuisables.
Mais les gentils, distingués et sincères admirateurs français de Thelonious Monk, s’intéressent moins à sa musique qu’à lui, sa légende, son image de fou jouant, comprend-on en voyant ce documentaire inimaginable réalisé par Alain Gomis, l’auteur de L’Afrance (2001), Andalucia (2008), Aujourd’hui (2013) et du magnifique Félicité (Grand prix du jury à Berlin en 2017).
Montrer la réalité telle qu’elle n’est pas
La France, les Français se sont toujours targués d’avoir été parmi les plus grands et premier fans de jazz. La découverte par Gomis des rushes non montés de cette émission vont lui permettre de mettre à jour la manière qu’a la télévision, l’audio-visuel, de montrer la réalité telle qu’elle n’est pas : ce qu’on attend de Monk, c’est qu’il joue le personnage qu’on a créé autour de lui, celui d’une sorte d’autiste, d’un excentrique fan de chapeaux farfelus (ce qu’il était aussi).
Tout ce qui sort de ce schéma semble n’intéresser personne. Quand il joue, les techniciens s’affairent autour de lui comme si de rien n’était. Il n’est plus qu’une image sans vie, celle d’un Noir qu’on respecte parce qu’il a le statut d’artiste, mais qui demeure malgré tout un homme de couleur perdu au milieu de Blancs qui ne semblent pas comprendre ce qu’il vit.
Les réalisateurs, obsédés par la perfection technique des plans, multiplient les prises, manifestement pénibles pour Monk, parce qu’on lui pose dix fois la même question bête et anecdotique (qui ne sera d’ailleurs pas gardée dans le montage final, comme nous l’a raconté Alain Gomis). Une gêne se crée. Qui nous laissent seuls avec les images d’un Monk épuisé, au bord des larmes (déclenchant les nôtres), mais stoïque, fataliste, habitué à n’être considéré que comme un fou, et celles, muettes, déchirantes, de son épouse Nellie, avec ses jolies lunettes, qui l’accompagne partout et pour qui il composa l’un de ses plus beaux morceaux : Crepuscule With Nellie.