Sous ses allures de récréation juvénile, l’œuvre du studio MegaWobble parle avec finesse de l’enfance, du temps qui passe et du réenchantement du monde par le jeu ou l’art.
Il voulait juste jouer avec sa grande sœur comme avant. Mais elle n’a pas le temps, les années ont passé, elle a du travail, laisse-moi tranquille, va t’occuper de ton côté. Alors le petit alligator décide d’inventer son propre jeu avec les autres enfants de l’île. Une grande aventure pleine de quêtes à accomplir et de monstres à affronter. Tous ensemble, après, ils construiront une ville magnifique. Si c’est réussi, c’est sûr : sa sœur sera impressionnée, elle lâchera ses devoirs de fac et viendra jouer avec lui.
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États de grâce éphémères de l’enfance
A Short Hike et, à travers lui, The Legend of Zelda : Lil Gator Game ne fait pas mystère de ses sources d’inspiration, mais l’œuvre du mini-studio américain MegaWobble ne se résume pas à un plaisant exercice de style sous influences. Car ce qu’il brasse au fil de son doux récit élastique, qui se tend et se détend selon notre humeur du moment (pressée, avide de tout voir et tout faire, ou plus rêveuse et nonchalante), est loin d’être anodin. D’un instant et d’un niveau de lecture à l’autre, Lil Gator Game évoque les états de grâce éphémères de l’enfance et la profonde angoisse qui peut venir les ronger, la difficulté, en grandissant, de rompre avec le passé autant que de lui rester fidèle, ou le plaisir qu’il peut y avoir à simplement être, au présent.
Mais il peut aussi se voir comme un traité, théorie et pratique mêlées, sur le jeu, l’art, la fiction ou le réenchantement du monde – appelez ça comme vous voulez. Avec cette idée essentielle que jouer, même en solitaire, c’est toujours jouer avec – le réel, la création ou la vision d’un·e autre. Et qu’il ne saurait exister de frontière étanche entre le jeu (l’art) et le non-jeu (la vie), que ça circule, que tout est affaire d’échanges et de transformations, de regards et d’interprétations. Chacun à sa manière, Oscar Wilde et Guy Debord n’auraient sans doute pas dit le contraire.
Cool kids et solitaires
Au cours de ses pérégrinations entre montagnes et forêts, petites clairières et bord de mer, notre héros fait de bien enrichissantes rencontres. Celle d’un rouge-gorge qui tremble devant les monstres en carton qu’il a lui-même fabriqués, d’un trio qui peine à se mettre d’accord sur l’univers de son jeu à venir (cow-boys, vampires ou science-fiction ?), de cool kids un peu hautains et de solitaires dont rien ne dit vraiment qu’ils se sentiraient mieux autrement. En chemin, il ne cesse aussi de croiser deux fantômes comme incrustés dans les lieux : celui de sa sœur et le sien, avant, quand tout était (ou non ?) bien.
Signe de ces temps où se multiplient les “wholesome games” (jeux bienveillants), plus souvent conscients de l’état de la planète sur tous les plans que simplement dérivatifs et réconfortants, Lil Gator Game rejoint la liste de ces œuvres (Paradise Marsh, Alba…) où, entre deux activités, on peut ramasser des détritus abandonnés ou simplement s’assoir pour écouter et regarder. Ne pas se fier à son allure de petit jeu naïf et sans conséquences pour enfants sages : cette épopée miniature est une merveille recommandée à tout âge.
Lil Gator Game (MegaWobble/Playtonic Friends), sur Switch et Windows, environ 20 € (textes en anglais).
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