Derrière la polémique inepte des propos de sa star sur la guerre en Ukraine, un film assez consensuel, mais pas dépourvu d’audace ni d’intelligence.
C’est la deuxième fois de sa carrière qu’Omar Sy incarne un Sénégalais conduit en France par les drames de l’Histoire et tâchant d’y survivre, et la deuxième fois que son isolement, ainsi que l’hostilité du monde où il entre, sont principalement mis en scène par la langue. Après Samba de Toledano et Nakache, où il interprétait le rôle d’un “sans-papiers”, le voilà maintenant en tirailleur de la Grande Guerre, avec un texte intégralement en peul, seule langue parlée par son personnage Bakary, berger qui s’engage pour protéger son fils Thierno, enrôlé de force au front.
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Une partition forcément casse-gueule, mais qu’Omar Sy réussit assez miraculeusement, incarnant sans indécence aucune ce personnage auquel il croit au-delà de la langue. Sans doute ici, parce que c’est tout le film qui y croit : Tirailleurs est très majoritairement dialogué dans les diverses langues africaines des soldats ponctionnés par l’Empire français dans ses colonies.
Une Tour de Babel sur le front
Derrière la leçon de morale convenue sur la guerre et le racisme que le film de Mathieu Vadepied ne nous épargne forcément pas, se cache tout de même un certaine défi de mise en scène et d’écriture. Aucune acrobatie ridicule de scénario ne vient réinstaurer artificiellement le français, et tout le film n’a donc d’autre choix que de prendre réellement en charge ces fameux destins invisibilisés par l’Histoire – réellement, c’est-à-dire un par un, et pas d’un seul bloc informe (détail très important : les tirailleurs ont aussi entre eux de grandes difficultés de compréhension, selon qu’ils viennent d’aires linguistiques différentes, parlant le peul, le yoruba, etc.).
Bien sûr, les sirènes du war movie consensuel et TF1-compatible ne tardent pas à sonner, et le film se clôt par une apothéose honorifique de son personnage presque contre-productive. Mais quelque chose s’est joué ici, qui est bel et bien du cinéma : une volonté d’épouser par la forme des rapports d’incompréhension mutuelle assez subtils, une vue hypersubjective des événements (Le Fils de Saul, parfois) débarrassée de certains tropes de représentation édifiants et patauds de la guerre. Dommage qu’une poignée de propos pourtant d’une absolue banalité soient venus se substituer médiatiquement à un film qui n’y était pour rien.
Tirailleurs de Mathieu Vadepied avec Omar Sy, Alassane Dion
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