Poursuivi en justice pour son clip « Bavure », accusé d’attiser la « haine anti-flic », le rappeur Jo le Phéno sort un nouveau titre pour s’expliquer et continuer à dénoncer les violences policières.
C’est une célébrité du quartier des Amandiers. Jo Le Phéno promène son blouson blanc et son regard doux dans cette enclave populaire du XXe arrondissement parisien qui l’a vu naître. « Une dédicace ! » se marre un de ses potes sur son passage. La petite renommée de ce jeune rappeur de 22 ans aurait pu rester circonscrite à ces quelques rues situées à proximité du cimetière du Père-Lachaise. Elle a débordé ce cadre, jusqu’à irriter Bernard Cazeneuve, quand il était encore ministre de l’Intérieur.
Poursuivi en justice pour « provocation non suivie d’effet au crime et injure » en raison de son clip Bavure, jugé « outrageant » et incitant à la violence contre des policiers par plusieurs syndicats de police, le jeune homme récidive ce vendredi avec la diffusion d’un nouveau titre, Bavure 2.0. Une forme de « droit de réponse » à ses contempteurs, explique-t-il : « J’en avais marre de passer pour un fou haineux. C’est une façon d’expliquer ma démarche« .
A l’origine de « Bavure »
L’histoire commence à l’été 2016. Jo vit chez ses parents. Il chante depuis ses 13 ans en parallèle de l’école. Après un bac pro audiovisuel et multimédia, il enregistre ses sons et diffuse ses clips sur Youtube avec l’aide d’une bande d’amis. Cet été là, il dit avoir assisté à plusieurs contrôles de police musclés dans son quartier. Des paroles racistes lui sont rapportées.
» Un gamin de 11 ans est venu me voir. Il portait un t-shirt ‘La Banane’ (surnom donné aux Amandiers, ndlr) et des policiers lui ont demandé pourquoi. Il a dit : ‘Parce que c’est le nom de mon quartier.’ Ils n’ont rien trouvé de mieux à lui répondre que: ‘T’es sûr que ça te rappelle pas ton pays?’ Il était choqué », raconte le rappeur.
Le même été, Adama Traoré meurt dans le cadre d’une interpellation dans le Val-d’Oise. Jo repense à Lamine Dieng, un « grand » de son quartier mort en 2007 dans un fourgon de police. De tout cela naît Bavure, titre dans lequel il aligne les punchlines provocatrices -« J’pisse sur la justice et sur la mère du commissaire« , « Sans hésiter faut les fumer« , « Où sont les condés ? On va les dompter« , lance-t-il en guise de refrain.
« Quand j’ai vu ma tête à la télé, j’ai cru à une blague »
Le 15 septembre, le Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT) et Alternative-CFDT publient un communiqué dans lequel ils dénoncent un clip « incitant à la violence » et condamnent sa diffusion. Condamnation à laquelle s’associe le syndicat Alliance, qui accuse la vidéo d’alimenter la « haine anti-flic« . Sur BFMTV, Christophe Rouget, chargé de communication du SCSI-CFDT, déclare :
« C’est surtout des appels à commettre des meurtres et à tuer des policiers. On voit bien aujourd’hui la diffusion de Daech qui veut aussi s’en prendre aux forces de l’ordre (on est quelques mois après l’attentat de Magnanville, ndlr) et là, on a un pseudo-rappeur, un délinquant d’une cité, qui lui aussi appelle au meurtre« .
https://www.youtube.com/watch?v=yVUsZMxKxkI
« Quand j’ai vu ma tête à la télé, j’ai cru à une blague, se souvient Jo le Phéno. Mes parents ont été choqués quand ils ont entendu mon nom mis en parallèle avec Daech. Cette histoire a pris des proportions incroyables, jamais je n’aurais imaginé ça. C’est pas comme si ma parole portait comme celle d’un Jay-Z ou d’un Kanye West ».
Les syndicats en appellent au ministre de l’Intérieur, qui saisit le parquet de Paris en vue de poursuites judiciaires. Une enquête est ouverte. Quinze jours plus tard, Jo est auditionné pendant quelques heures par la Brigade de répression de la délinquance contre la personne de la police judiciaire parisienne. Quelques jours après, il retourne en garde à vue pour une toute autre chose : conduite en sens interdit sur son scooter. Son test salivaire multi-drogues se révèle positif. Un policier le chambre : « C’est plus Jo le Phéno, mais Jo le bédo ».
« C’est pas parce que les gens écoutent le son qu’ils vont brûler du flic »
Les choses se tassent, son audience au tribunal correctionnel de Paris pour Bavure a lieu en février. Le procès est repoussé à septembre. On est alors en pleine « affaire Théo », du prénom du jeune homme victime d’un viol présumé par des fonctionnaires de police lors de son interpellation à Aulnay-sous-Bois. L’idée d’un nouveau clip est déjà sur les rails.
https://www.youtube.com/watch?v=hewX_XkbcNo
Dans ce dernier, diffusé ce vendredi sur Youtube, on retrouve Jo devant un écran de télévision en train de revivre le feuilleton de ses soucis, puis face caméra sur la place de la République, entrecoupé d’images d’affrontements entre manifestants et policiers lors des rassemblements contre la loi Travail.
« Moi j’ai fais Bavure car la police tue (…) Bientôt ça va péter mais cette fois sur vous« , chante-t-il. « J’incite personne à la haine, j’incite personne à tuer qui que ce soit, j’incite personne à se laisser faire« , dit le refrain. Revendiquant sa liberté d’expression, le rappeur insiste: « C’est que de la musique, c’est pas parce que les gens écoutent le son qu’ils vont brûler du flic ».
En attendant son procès, Jo mène une vie « comme tout le monde« , fait du foot et enregistre, selon l’humeur, des titres de rap street ou des chansons d’amour. Son avocat, Me Saïd Harir : « J’en défends des méchants, des vrais. Jo n’est pas un méchant. C’est juste un jeune qui essaie de percer« . A La 20e Chaise, centre social de la rue des Amandiers, un animateur-médiateur trouve « révoltantes » les poursuites contre lui. « Jo est dans une démarche positive, il est porteur d’une parole dans le quartier où beaucoup de jeunes sont désabusés ».