En 1927, l’écrivain allemand Franz Hessel écrit Berlin secret, roman d’un ménage à trois qui est aussi le portrait d’une ville capitale, le Berlin interlope.
Il faudrait être cuistre ou zinzin pour prétendre rivaliser avec Walter Benjamin quand, en 1927, il préface Berlin secret, le roman de son compatriote et ami Franz Hessel. Mais le texte évidemment prodigieux de Benjamin est fait de cette liberté qui permet de rebondir.
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Ainsi, quand Benjamin écrit que ce roman des portes et des seuils du “vieil ouest” berlinois est aussi celui des seuils mentaux qui singularisent les situations, les personnages, “les différencient les uns des autres, heures, minutes et mots”, il est permis de songer par ricochet au début de L’Homme sans qualités de Musil où un accident de la circulation dans le centre de Vienne coïncide avec une dépression météorologique dans le ciel de la ville.
Berlin prend sans cesse les devants
Berlin secret est un roman de ces “étranges” coïncidences qui relient la perspective embrumée d’une avenue au petit matin et l’impasse d’une intrigue amoureuse tout aussi nébuleuse. Au premier plan de ce panorama : le vieillissant Clemens, qui aime son épouse, la belle Karola, qui aime le jeune et séduisant Wendelin.
Dans le sens inverse, nettement plus interdit et à rebrousse-poil du canevas de la tragédie classique : Wendelin aime Karola qui aime Clemens. Quant à imaginer que dans le dos de Karola, Clemens et Wendelin pourraient fricoter… Berlin secret a bien des tiroirs qui ne sont pas moins secrets.
Le ménage à trois évoque Jules et Jim, et c’est fatal puisque Franz Hessel, par ailleurs père du Stéphane Hessel d’Indignez-vous !, fut avec sa femme Helen l’un des modèles du roman d’Henri-Pierre Roché. Mais au second plan de ce quasi-vaudeville avec effets d’humour afférents, c’est Berlin qui prend sans cesse les devants. Ce fameux Berlin des années folles, qui fut englouti par la catastrophe nazie.
“Jouis de tout, ne possède rien”
Cabarets interlopes, soirées canailles, personnages ambigus, aussi bien sexuellement que politiquement, tout se lit comme la répétition, au sens théâtral, d’un genre qui, de L’Ange bleu aux récits de Christopher Isherwood, fit bientôt florès : le pittoresque urbain.
Les meilleurs pages sont celles où, au terminus d’un inventaire visuel de Berlin digne d’un montage dadaïste (néons, affiches, publicités…), Hessel conclut : “Jouis de tout, ne possède rien.” A ce propos, Benjamin nous revient : “Il est assez facile de s’orienter dans une grande ville. C’est tout un art d’apprendre à s’y perdre.”
Berlin secret de Franz Hessel (Albin Michel), traduit de l’allemand par Danielle Risterruci-Roudnicky, 192 pages, 18 €
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